V.
Dieu était dans le principe, et nous avons appris que le principe, c’est la puissance du Logos. Car le maître de toutes choses, qui est lui-même le support substantiel1 de l’univers, était seul en ce sens que la création n’avait pas encore eu lieu; mais en ce sens que toute la puissance des choses visibles et invisibles était en lui, il renferme en lui-même toutes choses par le moyen de son Logos.2 Par la volonté de sa simplicité, sort de lui le Logos,3 et le Logos, qui ne s’en alla pas dans le vide,4 est la première œuvre du Père. « C’est lui, nous le savons, qui est le principe du monde. Il provient d’une distribution, non d’une division. Ce qui est divisé est retranché de ce dont il est divisé, mais ce qui est distribué suppose une dispensation volontaire et ne produit aucun défaut dans ce dont il est tiré.5 » Car, de même qu’une seule torche sert à allumer plusieurs feux, et que la lumière de la première torche n’est pas diminuée parce que d’autres torches y ont été allumées, ainsi le Logos, en sortant de la puissance du Père, ne priva pas de Logos celui qui l’avait engendré. Moi-même, par exemple, je vous parle, et vous m’entendez,6 et moi qui m’adresse à vous, je ne suis pas privé de mon logos parce qu’il se transmet de moi à vous, mais en émettant ma parole, je me propose d’organiser la matière confuse qui est en vous, et comme le Logos, qui fut engendré dans le principe, a engendré à son tour, comme son œuvre,7 en organisant la matière, la création que nous voyons, ainsi moi-même, à l’imitation du Logos, étant régénéré et ayant acquis l’intelligence de la vérité, je travaille à mettre de l’ordre dans la confusion de la matière dont je partage l’origine. Car la matière n’est pas sans principe ainsi que Dieu, et elle n’a pas, n’étant pas sans principe, la même puissance que Dieu, mais elle a été créée, elle est l’œuvre d’un autre, et elle n’a pu être produite que par le créateur de l’univers.
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J’emprunte la traduction (pour le mot d’ὑπόστασις) de Mg. Duchesne (Les origines chrétiennes). ↩
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Ce passage a été, de l’aveu de tous, altéré; il répondait mal aux théories orthodoxes de l’époque postérieure (cf. la scholie d’Aréthas qui accuse Tatien d’arianisme). En rétablir sûrement le texte original est ardu. Toutefois, je crois que Schwartz, aidé de Wilamowitz, y a réussi en somme assez bien; on obtient ainsi une proposition : « en tant que toute la puissance des choses visibles et invisibles était avec lui (= en lui), » qui s’oppose parfaitement à « en tant que la création n’avait pas encore eu lieu, » dans la phrase précédente. ↩
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Mg. Duchesne après avoir traduit littéralement, comme je viens de le faire, explique ainsi entre parenthèses : par la simple volonté. Mais l’expression dont se sert Tatien υελήματι τῆς ἀπλότητος αὐτοῦ ne peut être ramenée à cette signification. Elle dit plus; Harnack l’a bien vu quand il a traduit en paraphrasant: par un acte de libre volonté de la divinité, dont l’essence n’est pas composée. ↩
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Le Logos se réalise à ce moment; jusqu’alors il était immanent à Dieu; il s’extériorise et devient la première œuvre du Père. (Cf. Ep. aux Colossiens, I, 15.) ↩
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Les phrases entre guillemets sont données d’après la traduction de Duchesne. ↩
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Ce passage est un de ceux qui ont paru prouver à Kukula que le Discours de Tatien a été réellement prononcé. ↩
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Je rends ainsi les mots αὐτὸς ἑαυτῷ que ni Harnack ni Duchesne n’ont rendus et qui ont leur valeur. Le monde est la création du Logos comme le Logos est l’œuvre du Père. J’emprunte à Duchesne l’expression: la création que nous voyons pour rendre τὴν καθ' ἧμᾶς ποίησιν. ↩
