4.
Votre malheur surpasse même celui des païens, ô infortunées victimes de l'erreur l Car, s'il n'est pas donné aux païens d'éviter les supplices éternels, du moins ils goûtent sur la terre les plaisirs de la chair, les douceurs du mariage, le rassasiement des sens et l'ivresse de l'opulence ; vous , au contraire, vous n'avez pendant la vie que des peines volontaires, et vous ne rencontrerez au delà du tombeau que des maux involontaires. Le jeûne et la virginité ne seront pour le païen ni un titre à la récompense céleste , ni un sujet de condamnation; mais, à votre égard, ces deux vertus, dont vous attendiez une gloire immortelle, deviendront la cause d'une éternelle réprobation, et Jésus-Christ vous dira : Retirez-vous de moi, et avec vos prétendus mérites allez au feu de l'enfer, qui a été préparé pour le démon et ses anges. (Matth. XXV, 41.) Et en effet le jeûne et la virginité sont en eux-mêmes des actes indifférents, et l'intention seule leur donne un caractère moral. C'est ainsi qu'ils sont stériles et infructueux dans les païens, parce qu'ils ne les pratiquent point en vue de Dieu; mais vous , hérétiques, qui ne pratiquez ces oeuvres que pour vous révolter contre Dieu et pour blasphémer ses créatures, non-seulement vous ne serez point récompensés de vos sacrifices, mais vous en serez punis comme d'un crime. Sous le rapport du dogme, vous serez enveloppés dans la même condamnation que les païens, puisque vous avez comme eux renié le vrai Dieu, pour inventer des divinités mensongères. Sous le rapport de la morale, ils seront plus heureux que vous. On ne prononcera contre eux que l'exclusion du ciel, tandis que des tourments affreux s'ajouteront pour vous à cette même exclusion. Du moins ils auront pu , durant la vie, goûter quelques plaisirs , et vous , vous perdez les jouissances du temps et de l'éternité. Mais est-il un sort plus malheureux que celui de l'homme qui ne recueille pour prix de ses travaux et de ses fatigues que d'éternels supplices ?
Au jour du jugement, l'adultère, l'adroit ravisseur du bien d'autrui, et l'opulent usurier trouveront une certaine consolation, quelque faible qu'elle soit, dans la pensée qu'ils ne sont punis que pour des crimes dont ils ont joui mais quelle ne sera pas la douleur de celui qui sur la terre aura embrassé la pauvreté volontaire pour s'acquérir les richesses du ciel, et qui n'aura point reculé devant les sacrifices de la chasteté pour s'assurer une place parmi les anges, lorsqu'il verra ces brillantes espérances s’évanouir pour faire place à la triste réalité des peines de l'enfer. Je n'hésite même pas à penser qu'en cette âme le remords et le désespoir seront plus cuisants que les feux éternels, quand elle contemplera autour du divin Epoux les émules de ses travaux et de ses combats. Hélas! ces mêmes vertus qui leur vaudront alors un bonheur ineffable, ne lui attireront que d'affreux supplices. Qu'il sera du d'être puni plus sévèrement pour ses austérités que d'autres ne le seront pour leur débauche et leur libertinage.
