1.
Je ne m'étonne point que la femme qui n'a pas encore connu l'alliance de l'homme, ni les douleurs de l'enfantement et les mille embarras du mariage, puisse désirer cet état, car c'est un proverbe que l'on aime la guerre et ses rudes fatigues quand on n'en a point l'expérience. Mais qu'une veuve qui a éprouvé toutes ces tribulations, qui, sous le joug pesant du mariage a vanté le bonheur des vierges, et envié leur heureuse liberté, qui a maudit cent fois et son existence, et ses fiançailles et le jour de son hymen, se laisse prendre de nouveau au piège, et après une si cruelle déception convole à de secondes noces, voilà ce que je ne puis comprendre. Aussi ai-je cru utile de rechercher quels motifs pouvaient porter une veuve à contracter volontairement des engagements qui lui paraissaient si durs, et dont elle est affranchie. Cette recherche a exigé de ma part de profondes réflexions, et en remontant à la cause du mal, j'ai reconnu que ces motifs étaient nombreux.
Quelquefois le laps des années fait oublier à une veuve ses anciens chagrins; et, toute préoccupée du présent, elle désire le mariage comme l'unique remède aux tristesses de la viduité. Mais bientôt ses nouvelles chaînes lui deviennent plus lourdes que les premières, et elle réitère ses doléances. Une autre tout enthousiasmée du monde et tout ébahie de sa gloire et de ses plaisirs, rougit de la viduité, et se replonge dans les misères du mariage par orgueil et par vanité. Il en est même quelques-unes pour lesquelles ces motifs sont nuls, et qui ne cèdent qu'à l'effervescence des sens et de la passion. Mais, en contractant un nouveau mariage, elles voilent sous divers prétextes la véritable cause de leur conduite. Sans doute je ne saurais ni blâmer indistinctement les secondes noces, ni engager quelqu'un à les condamner, car l'Apôtre, ou plutôt l'Esprit-Saint lui-même les approuve. La femme, dit saint Paul, est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant; mais si son mari meurt, elle est libre : qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur. (I Cor. VII, 39.) Il lui permet donc un second mariage, quoiqu'il assure qu'elle sera plus heureuse si elle demeure veuve. Et de peur que l'on ne soit tenté de n'attribuer à sa parole qu'une autorité purement humaine, il ajoute : Je pense que j'ai aussi l'Esprit de Dieu; montrant ainsi qu'il écrivait comme sous la dictée de l'Esprit-Saint. (I Cor. VII, 40.)
Je n'ai donc pas pour but, dans ce que je vais dire, de m'élever contre les secondes noces, ni de blâmer les personnes qui s'y engagent; qu'on ne le croie pas. Serions-nous assez insensé, assez audacieux, nous, grand pécheur, pour condamner sévèrement une conduite sur laquelle l'Apôtre a évité de porter aucun blâme. L'Evangile nous ordonne de ne point juger nos frères, de peur qu'on ne nous juge nous-mêmes; et loin de nous autoriser à les reprendre rudement, il veut que nous soyons à leur égard bons et faciles à pardonner. Mais si nous incriminions, et si nous condamnions une conduite qui n'est point coupable, ne serait-ce point nous fermer à nous-mêmes la voie du pardon? Certainement, notre sévérité envers le prochain nous attirerait à nous-mêmes un jugement plus rigoureux. Ainsi je ne me propose point dans ce discours de censurer les veuves qui passent à de secondes noces. Oserais-je blâmer ce que le Seigneur leur permet? Seulement, qu'elles se marient selon le Seigneur. Mais de même que j'ai relevé l'excellence de la virginité sans rabaisser la. dignité du mariage, de même j'exhorte aujourd'hui les veuves à ne point contracter un second mariage, sans que pour cela je range les secondes noces au nombre des choses défendues; je les crois licites, mais je soutiens qu'il est plus parfait de s'en abstenir.
En comparant ces deux états, je donne la palme à l'un, mais je n'ai garde de dire que l'autre soit mauvais; je reconnais seulement que les secondes noces sont inférieures à la viduité. Ainsi encore une fois le but de ce parallèle n'est point de rejeter les secondes noces comme défendues et prohibées; elles. sont légitimes, et je les considère comme permises, mais j'estime que la viduité est bien meilleure et bien plus excellente, et la raison en est que je mets une grande différence entre la veuve qui ne se remarie pas, et celle qui contracte un second engagement. L'une montre qu'elle fût demeurée vierge, si elle avait pu savoir ce que c'était que le mariage; et l'autre en introduisant un nouvel époux dans le lit nuptial, laisse soupçonner qu'elle aime encore le monde, et qu'elle recherche les biens de la terre. Celle-là, du vivant de son époux, concentrait en lui seul toute son affection, et celle-ci donne à penser que, tout en restant chaste et fidèle épouse, elle n'a pas laissé de nourrir pour d'autres hommes un sentiment d'admiration peut-être plus fort que pour son mari.
