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Ce raisonnement est vrai, direz-vous; mais comme la femme n'a aucune expérience des affaires, n'est-elle pas bien à plaindre d'être obligée de, se livrer à des soins qui sont le partage de l'homme? Peut-elle aussi facilement que celui-ci régir ses biens et administrer ses revenus? Le résultat le plus certain de vos conseils, si elle les suit, sera la ruine de sa fortune. — Mais quoi ! toutes les veuves qui ont repoussé un second mariage, sont-elles tombées dans la pénurie et l'indigence n'en voyons-nous aucune qui ait su gérer ses affaires seule? Si, nous en voyons, et votre objection n'est qu'un adroit sophisme pour voiler un esprit faible et une volonté inconstante. Souvent des veuves ont administré leurs biens plus sagement que ne le faisaient leurs époux, et ont donné à leurs enfants une brillante éducation : d'autres ont augmenté leurs revenus, ou du moins ne les ont pas diminués. Dieu n'a pas tout accordé à l'homme; il a même ordonné que la femme eût aussi sa part dans les soins et les travaux du ménage, de peur qu'une exclusion entière ne la rendit méprisable. Dieu ne l'a pas reléguée dans une condition inférieure; et il s'en déclare ouvertement par cette parole : Faisons à l'homme une aide qui lui soit semblable. (Gen. II, 18.) Sans doute l'homme a été créé le premier, et la femme a été créée pour lui; et parce que cette prérogative de priorité pouvait le rendre envers elle fier et arrogant, le Seigneur voulut dès le principe réprimer son orgueil, et lui apprendre que la femme entre pour moitié dans tout ce qui conserve et embellit l'existence.
Me demanderez-vous ici de spécifier en quoi l'aide de la femme nous est utile et même nécessaire ? Ne savez-vous pas que le bien-être de la vie présente résulte de la bonne gestion des affaires, soit extérieures, soit intérieures, et que Dieu a confié à l'homme le soin de traiter les premières, et à la femme celui de surveiller les secondes? Changez cet ordre et cette disposition, tout périt aussitôt et, s'écroule; tant il est vrai que jamais l'homme et la femme ne travaillent plus utilement qu'en restant dans leur rôle respectif. Si donc le gouvernement intérieur de la maison appartient à la femme, et si, en cette science, elle surpasse autant l'homme qu'un habile ouvrier surpasse un manoeuvre maladroit, vos craintes concernant la fortune des veuves sont-elles fondées? Il appartient à l'homme de voyager au loin et d'augmenter ses revenus; mais le devoir de la femme est bien moins d'amasser de nouvelles richesses que de conserver celles qui lui sont apportées, et d'en surveiller le sage emploi. Peut-être vous paraît-il plus glorieux de grossir votre fortune que de la conserver; cependant l'un devient sans l'autre vain et inutile; quelquefois même une stricte économie ne peut empêcher que trop d'avidité ne conduise à une ruine entière. Il est difficile que l'homme, tout préoccupé de ses intérêts et ambitieux d'agrandir son patrimoine, ne commette quelque injustice, puisqu'on ne s'enrichit presque toujours que par le malheur d'autrui. Or, il arrive souvent que ces richesses, qui sont le fruit de la rapine ou de la violence, frappent de stérilité la prudence de la femme, et rendent inutiles les efforts de Son économie intelligente. Si donc d'un côté il est plus glorieux d'acquérir que de conserver, d'un autre c'est beaucoup moins sûr , puisque l'avidité de gagner sans cesse, au lieu d'augmenter la fortune n'aboutit bien souvent qu'à la détruire. Après cela une veuve craindrait-elle de voir se détériorer, entre ses mains, une administration qui lui était confiée du vivant même de son époux ?
Mais cette administration ne deviendra-t-elle pas forcément moins sévère et moins ferme ? Il n'y aura plus là un maître qui se fasse craindre et obéir; les serviteurs, les économes et les régisseurs redoutaient le regard sévère de l'époux, et lui obéissaient avec une merveilleuse promptitude : mais aujourd'hui qu'il n'est plus, tous insultent à sa veuve, et se permettent impunément de coupables malversations; ils sont arrogants, ils dissipent les biens qu'ils devraient conserver, et si elle veut recourir à la sévérité, et châtier ces voleurs par le fouet et la prison, elle ameute contre elle-même la malignité du public, et s'expose aux traits acérés de la satire. — Ce sont là des inconvénients réels, je l'avoue, mais en voici d'autres : Si, oubliant la foi promise et l'amour juré à un premier époux, elle éloigne le souvenir des fêtes qui accompagnèrent son premier hymen, les chants et les acclamations, le flambeau nuptial et les doux embrassements, les épanchements du coeur, les festins et les danses; si elle chasse comme une réminiscence importune la pensée d'une union de plusieurs années, et celle de tendres et affectueux entretiens; enfin si elle rejette tout ce passé, comme s'il n'eût jamais existé, pour introduire en son lit un nouvel époux qui ne peut ignorer toutes ces choses; tout le monde s'accorde à la blâmer, à la critiquer et à lui prodiguer les noms d'inhumaine, de parjure, d'infidèle et mille autres aussi désagréables.
