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La plupart des hommes, soit paresse, préoccupation de leurs affaires, ou peut-être ignorance, aiment peu les longs discours. J'ai donc cru nécessaire de leur épargner l'ennui que cause la prolixité; je veux, à force de concision, ôter toute raison d'être à la paresse, inspirer, s'il se peut, le goût de la lecture à ceux qui en sont le plus privés, et les amener â suivre avec intérêt l'oeuvre que j'entreprends. Laissant de côté toutes les parures du langage, j'emploierai des expressions tellement simples et faciles qu'elles soient à la portée des domestiques, des serviteurs, des veuves, des trafiquants, des matelots et des cultivateurs, je m'efforcerai de faire disparaître partout les longueurs, autant que possible et d'instruire en peu de mots; aussi simple que court, je réveillerai de leur assoupissement mes lecteurs les plus endormis; ils liront ce traité facilement et sans aucun effort, et en retireront du profit en le gravant dans leur mémoire.
C'est avec les Gentils que j'engage d'abord le combat. Je suppose donc qu'un païen me dise : Où sont les preuves de la divinité de Jésus-Christ? (car voilà ce qu'il faut établir d'abord, et ce point établi, tout le reste en découle,) ni le ciel, ni le reste de la création ne pourront me servir à prouver cette vérité. En effet, j'aurai beau alléguer à mon adversaire païen, que Jésus-Christ a créé le ciel et la terre et la mer il ne l'admettra pas. Lui dirai-je que Jésus-Christ a ressuscité les morts, guéri les aveugles, chassé les démons : il n'y croira pas davantage. Lui parlerai-je du royaume céleste et des ineffables biens que Jésus-Christ promet aux hommes; raisonnerai-je sur la résurrection: bien loin que ces arguments le convainquent, il ne fera qu'en rire. Par où donc le saisir pour l'amener à notre foi, surtout s'il est ignorant?, Par où, sinon par un fait, sur lequel lui et moi, nous soyons pleinement et incontestablement d'accord, et sur lequel il n'existe aucune incertitude. Ce fait encore une fois ne peut-être la création du monde , puisqu'il n'admet pas que Jésus-Christ en soit l'auteur. Quelle est donc l'oeuvre, qui, de l'aveu même du païen, a pour auteur Jésus-Christ? C'est la (368) fondation du Christianisme. Ces Eglises établies sur toute la surface de la terre, à qui doivent-elles leur origine? à Jésus-Christ, personne ne saurait le nier, pas même un païen.
C'est de ce fait que nous partirons pour montrer la puissance et prouver la divinité de Jésus-Christ. Est-ce un homme qui aurait pu en si peu de temps et malgré des oppositions de toute nature pénétrer le monde de sa pensée, l'élever à de si grandes choses, quand ce monde était engagé depuis tant de siècles, et si profondément dans l'erreur et le mal? Cette liberté des enfants de Dieu, il l'a rendue non-seulement aux Romains, mais aux Perses et aux Barbares. Et il a réussi dans cette entreprise sans recourir aux armes, sans dépenser d'argent, sans mettre d'armées en mouvement, sans allumer de guerres, mais, au moyen de onze hommes sans nom, sans importance, illettrés, grossiers, pauvres, mal vêtus, sans armes, sans chaussures, n'ayant qu'une tunique. A quoi a-t-il réussi? à persuader aux hommes de tant de nations d'appliquer leur esprit, non-seulement aux choses présentes mais encore aux choses futures; de déchirer les lois paternelles, d'extirper des coutumes très-anciennes et très-profondément enracinées, en implanter d'autres à leur place, de quitter un genre de vie commode, pour embrasser les sévérités, les austérités de la loi évangélique; voilà à quoi il a réussi, et cela pendant que de toutes parts on se déchaînait contre lui, et après avoir enduré le supplice infâme de la croix, et une mort ignominieuse. Personne n'osera le nier, les Juifs ont crucifié Jésus-Christ, ils ont fait ce qu'ils ont pu pour arrêter son oeuvre, et cependant l'Evangile s'est répandu sur la terre; il grandit chaque jour, et chose prodigieuse ! ce n'est pas seulement ici qu'il fleurit, mais jusque dans la Perse, qui donne présentement à l'Eglise des essaims de martyrs. Ces peuples que la prédication évangélique a trouvés plus féroces que des loups, elle les a rendus plus doux que des agneaux; et maintenant ces Barbares méditent sur l'immortalité de l'âme, sur la résurrection, et sur les biens ineffables dont nous avons reçu l'espérance.
