1.
Votre silence est cause que j'ai différé jusqu'à présent de vous écrire : je n'ai osé l'interrompre, de peur que ma lettre ne vous donnât plus de chagrin que de satisfaction; mais puisque vous m'avez prévenu d'une manière si obligeante et que vous m'invitez à disserter sur un des points de notre religion, je reçois avec plaisir les honnêtetés que me fait un ancien condisciple que j'ai toujours regardé comme mon camarade et mon ami. J'ai dessein même de mettre mes ouvrages sous votre protection; mais auparavant il faut que je vous fléchisse comme mon juge, ou plutôt que je vous instruise, comme mon avocat, des griefs dont on me charge ; car, comme dit Cicéron, votre concitoyen , « un procès est à moitié gagné quand il est bien instruit. » Antoine avait dit la même chose avant lui dans un petit ouvrage, le seul qu'il ait composé.
Quelques-uns donc me blâment d'avoir trop élevé la virginité et trop abaissé le mariage dans les livres que j'ai faits contre Jovinien : ils disent qu'élever si haut le mérite et la gloire de la chasteté et mettre une si grande différence entre une vierge et une femme mariée, c'est en quelque façon condamner le mariage. Si je me souviens bien de la dispute que j'ai eue avec Jovinien, il me semble qu'elle consistait en ce qu'il égalait le mariage à la virginité, et que moi je mettais la virginité au-dessus du mariage; qu'il trouvait peu ou point du tout de différence entre ces deux états, et que moi j'y en mettais une très grande; enfin il n'a été condamné (et c'est de quoi nous vous sommes redevables après Dieu) que parce qu'il avait osé égaler l'état du mariage à celui d'une perpétuelle virginité. Mais s'il n'y a aucune différence entre une vierge et une femme mariée, pourquoi donc Victorin n'a-t-il pu souffrir qu'on débitât dans Rome une doctrine si impie? L'homme engendre les vierges, mais les vierges n'engendrent pas l'homme. Il faut être de mon sentiment ou de celui de Jovinien, il n'y a point de milieu : si on me blâme d'avoir mis la virginité au-dessus du mariage, on doit le louer d'avoir égalé ces deux états; mais puisque son sentiment a été condamné, sa condamnation autorise le mien.
