5.
Je n'étais pas assez sot pour vouloir faire connaître votre ignorance , que personne ne peut mieux relever que vous-même par vos écrits ; mais j'ai voulu faire connaître à vos condisciples qui n'ont point étudié la littérature avec vous, les progrès que vous avez faits en Orient pendant trente années, vous qui regardez comme preuve d'un bon esprit le bavardage, la diffusion et la médisance. Vous dites : « Je n'emploie point la férule contre vous, et je ne prétends point faire apprendre les lettres à mon vieil écolier au moyen du fouet; mais parce que nous ne pouvons prévaloir contre la force de votre éloquence et les partisans de vos doctrines, et que vous nous éblouissez par des éclairs de génie , de manière que vous pensez voir partout des envieux, nous désirons à l'envi vous écraser, de peur que, si vous veniez à obtenir la première place parmi les écrivains, et à vous renfermer dans votre éloquence , comme dans une citadelle, il ne soit plus loisible à aucun de nous, qui voulons savoir quelque chose, de dire un seul mot. » Je suis philosophe, rhéteur, grammairien, dialecticien, je connais l'hébreu, le grec, le latin ; je parle donc trois langues. Et vous de cette tisanière vous en connaissez deux : vous vous exprimez avec tant d'art dans la langue des Grecs et des Latins , que les Latins vous prennent pour un Grec, et les Grecs pour un Latin ; c'est comme l'évêque Epiphane, surnommé Pentagloptos, parce qu'il parle en cinq langues contre vous et votre favori. En vérité j'admire avec quelle témérité vous osez dire d'un homme aussi capable : «vous consommé dans tant de sciences, comment pourrez-vous obtenir le pardon d'une faute, si vous venez à la commettre, et pourquoi ne pas garder toujours un silence modeste? » Quand j'eus lu ces mots, je crus avoir commis une faute quelque pai1, sachant que celui qui ne pèche jamais dans ses paroles est parfait, je me doutai qu'on ne manquerait pas de la publier à l'instant même où elle serait aperçue. En effet deux jours avant le départ du porteur de ces lettres, les injures que vous avez répandues contre moi vinrent frapper mes oreilles. Pourquoi proférez-vous des menaces et dites-vous : « Comment pourra-t-on vous pardonner si vous tombez dans l'erreur? Pourquoi ne pas garder continuellement le silence?» C'est peut-être le manque de temps qui vous a empêché de classer vos paroles ; peut-être aussi aviez-vous à accompagner un de ces hommes instruits qui se disposait à venir prendre dans mes opuscules un essai de votre brillante éloquence. Plus haut vous vous exprimez ainsi: « Recevez gratuitement ce livre que, vous auriez peut-être voulu acheter bien cher. » Et maintenant vous parlez de l'éclat de l'humilité : j'ai voulu vous prendre pour modèle, mais votre messager se hâtant de retourner vers vous, j'ai pris le parti de m'adresser en peu de mots à vous-même, qui proférez tant d'injures, plutôt que de me plaindre plus longuement aux autres. Et en attendant vous jouissez hardiment de votre maladresse. Une seule fois vous faites un aveu , vous dites: « Vous condamner, inutilement quelques passages, puisque tous sont ouvertement condamnés par vous-même » Je ne vous ferai pas de reproches d'avoir admis comme acheté un livre qui a été véritablement acheté, puisque la marchandise vaut le prix. L'empressement que votre messager met à retourner vers vous ne me permet que de m'attacher au sens de votre grossier bavardage ; je ne vous parlerai ni de vos solécismes ni de vos barbarismes, mais je rendrai évidents vos mensonges, votre fourberie et votre impudence. Si vous m'écrivez seulement pour me donner des conseils et me corriger, prenez garde de produire trop de scandale, prenez garde que l'excès de l'un ne détruise les autres. Pourquoi faites-vous proclamer ces écrits par vos partisans dans tout l’univers? Où est donc ce redoutable syllogisme dont vous parlez, qui doit me forcer à garder le silence? Quel est donc l'homme que vous voulez corriger, excellent Mentor, en envoyant vos conseils à ceux qui n'ont commis aucune faute? Si c'est à moi que vous adressez vos reproches, comme vous ne m'avez pas écrit, je me servirai contre vous de vos propres paroles, et je vous demanderai, Mentor ignorant, qui prétendez-vous corriger? Sont-ce les hommes qui n'ont commis aucune faute , ou moi, à qui vous n'avez pas écrit? Croyez-vous donc que vos lecteurs soient assez sots pour ne pas saisir votre adresse ou plutôt votre ruse, semblable à celle du serpent, le plus rusé des animaux? Pourquoi exigez-vous de moi des avertissements secrets , moi que vous accusez à la face du monde entier? Et vous ne rougissez pas de revêtir vos mensonges du nom d'apologie ; et vous vous plaignez de ce que je présente un bouclier à vos traits médisants! Comme un homme religieux et saint , comme un homme plein d'humilité vous dites: Si j'ai commis une faute, pourquoi vous adresser aux autres et non à moi seul? Je vous rétorque votre argument. Pouvez-vous en effet me reprocher une seule faute que vous n'ayez vous-même commise? Vous ressemblez à un homme qui, trouvant de la résistance dans son ennemi qu'il accable de coups de poings et de coups de pieds, lui demande s'il ne tonnait la maxime qui veut que lorsqu'on est frappé sur une joue on présente l'autre. Quoi donc, homme admirable, est-il écrit que lorsque vous me frappez et m'arrachez les yeux, je ne dois pas faire la moindre résistance, sans que vous me répétiez sans cesse les préceptes du Christ? Vous voulez faire sentir la subtilité de vos raisonnements, et en cela vous ressemblez aux jeunes renards qui habitent les cavernes du désert et dont parle Ezéchiel, dans cette phrase : « Prophète d'Israël , vous ressemblez aux renards du désert. » Voyez ce que vous avez fait , vous me flattez tellement dans vos écrits que si je n'avais pas repoussé loin de moi vos louanges et n'avais pas dit que j'étais entièrement l'ennemi de vos flatteries, on aurait pu me prendre pour un hérétique, moi qui ai résisté à vos accusations, moi qui , bien éloigné de vous porter envie, ai répondu aux calomnies et non au calomniateur. Vous vous indignez, vous vous mettez en colère et vous m'attaquez avec les écrits les plus violents, moi qu'autrefois vous combliez d'éloges. Vous les avez fait répandre et publier partout, et ils sont venus à ma connaissance de l'Italie, de Rome et de la Dalmatie. J'avoue qu'alors j'ai répondu à vos calomnies, et que j'ai employé toutes mes forces à prouver que je n'étais pas partisan de l'hérésie, J'avoue que j'ai envoyé vos écrits à ceux que vous avez blessés, afin que l'antidote détruisit aussitôt le poison. C'est pour cela que vous m'avez adressé vos premiers livres et la lettre dernière, qui m'accable d'injures et de calomnies. Que voulez-vous donc que je fasse , cher ami? Que je me taise? mais alors on me croira coupable. Que je parle? mais vous m'épouvantez par vos menaces de mort et vous parlez déjà non pas à la justice ecclésiastique , mais à celle des tribunaux. Qu'ai-je fait? qu'ai-je mérité? en quoi vous ai-je offensé? Est-ce en soutenant que je ne suis pas hérétique , que je ne mérite pas vos éloges? Est-ce en dépeignant dans un discours public, les ruses et les parjures de l'hérésie? Cela vous regarde-t-il, vous qui ne cessez de publier que vous êtes un vrai chrétien? Vous qui m'accusez plus souvent que vous ne vous défendez vous-même? Est-ce que ma défense est votre accusation? Ne pourrez-vous être orthodoxe sans prouver que je suis hérétique? A quoi peut vous servir mon amitié? Peut-on expliquer cette sagesse qui vous porte à accuser les autres lorsque vous êtes accusé vous-même? Vous êtes poursuivi? vous fuyez, et vous ne craignez pas de provoquer celui qui ne demande que du repos. J'en appelle au témoignage du Sauveur, que c'est malgré moi et avec répugnance que je m'abaisse jusqu'à vous faire une réponse; qu'il fallait toutes vos provocations pour me faire rompre le silence. Je vous le dis, enfin cessez de m'accuser, et je cesse de me défendre. Quel bel exemple pour ceux qui nous entendent, que la lutte de deux vieillards, surtout de deux vieillards qui tiennent à se faire passer pour catholiques ! Otons l'accusation d'hérésie, et nous n'avons plus aucun sujet de dispute. Condamnons la doctrine d'Origène, qui aujourd'hui est condamnée par tous, avec la même ardeur que nous la vantions autrefois. Donnons-nous la main, réunissons nos cœurs, et suivons d'un pas agile les deux soutiens de l'Orient et de l'Occident. Si nous avons protégé l'erreur dans notre jeunesse, nous devons nous corriger dans notre vieillesse. Si vous êtes mon frère, réjouissez-vous de ma conversion; si je suis votre ami, de même je dois vous féliciter du changement qui s'est opéré en vous. Tant que nous serons en inimitié, on croira que c'est la nécessité et non la conscience qui nous porte à embrasser la vraie foi; nos inimitiés réciproques nous ôtent à l'un et à l'autre le témoignage d'un sincère repentir; si nous croyons les mêmes choses, si nous avons les mêmes volontés, ce qui constitue une solide amitié, selon l'expression de Catilina lui-même, si nous haïssons d'une haine semblable et condamnons ensemble la vieille hérésie, pourquoi nous livrerions-nous bataille , nous qui attaquons et défendons les mêmes principes?
