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Saint Mathieu, après avoir dit que le perfide Judas avait rendu les trente pièces d'argent qu'il avait reçues pour le prix de sa trahison, et que les prêtres avaient employé cette somme à acheter le champ d’un potier, ajoute incontinent après: « Ainsi fut accomplie cette parole du prophète Jérémie ; « Ils ont reçu les trente pièces d’argent qui étaient le prix de celui qui a été mis à prix, et dont ils avaient fait le marché avec les enfants d'Israël; et ils les ont données pour en acheter le champ d'un potier, comme le Seigneur me l'a ordonné. » Ce passage n'est point de Jérémie, il est du prophète Zacharie, qui lui donne un autre tour et l'exprime dans des termes tout différents; car voici ce que porte la Vulgate1 : « Et je leur dirai : « Si vous jugez qu'il soit juste de me payer, donnez-moi la récompense qui m'est due, ou refusez de me la donner. » Ils pesèrent alors trente pièces d'argent qu’ils me donnèrent pour ma récompense; et le Seigneur me dit : « Faites passer cet argent par le creuset, et voyez s'il vaut ce qu'ils m'ont estimé; » et ayant pris les trente pièces d'argent, je les mis dans la maison du Seigneur pour être jetées dans le creuset. » Il est aisé de juger là combien le passage cité par saint Matthieu est différent de la version des Septante. Le sens de ce passage est le même dans le texte hébreu, mais l'ordre en est renversé, et il y a même quelque différence dans les termes. Voici ce qu'il porte: « Et je leur dis : « Si vous jugez qu'il soit juste de me payer, rendez-moi la récompense qui m'est due ; sinon, ne le faites pas; » et ils pesèrent trente deniers d'argent qu'ils me donnèrent pour ma récompense; et le Seigneur me dit : « Allez jeter à l'ouvrier en argile cet argent, cette belle somme à laquelle ils m'ont apprécié; » et j'allai en la maison du Seigneur les porter à l'ouvrier en argile. » Qu'ils fassent donc ici le procès à cet apôtre comme à un faussaire, pour avoir employé un passage qui ne s'accorde ni avec le texte hébreu ni avec les Septante, et surtout pour avoir cité par une erreur grossière Jérémie au lieu de Zacharie. Mais à Dieu ne plaise que nous accusions d'erreur ou de fausseté un disciple de Jésus-Christ qui, sans s'arrêter scrupuleusement aux mots et aux syllabes, s’est uniquement attaché à exprimer le véritable sens des saintes Ecritures!
Venons à un autre passage du même prophète, que l'évangéliste cite selon le texte hébreu. « Ils verront celui qu'ils ont percé. » Les Septante, selon la version latine, portent: « Ils jetteront les yeux sur moi, touchés des insultes et des outrages qu'ils m'auront faits. La version de l'évangéliste, celte des Septante et notre Vulgate ne s'accordent point sur cet endroit ; mais cette différence , qui ne consiste que dans les mots, n'empêche point qu’elles ne renferment le même sens et le même esprit.
Jésus-Christ, comme nous lisons dans saint Mathieu, prédisant à ses apôtres qu'ils s'enfuiraient et l'abandonneraient, confirme sa prédiction par un passage de Zacharie, en disant : « Il est écrit : « Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. » Cependant ce passage est tout différent et dans la version des Septante et dans le texte hébreu ; car ce n'est point Dieu qui dit ces paroles, comme l'évangéliste les lui attribue ; c'est le prophète lui-même qui fait à Dieu le Père cette prière : « Frappez le pasteur, et les brebis seront dispersées. » Je m'imagine que saint Matthieu, n’échappera pas ici à la censure de quelques prétendus savants, et qu'il sera condamné à leur tribunal pour avoir osé attribuer à Dieu les paroles du prophète.
Le même évangéliste dit que Joseph , étant averti par l'ange, prit l’enfant et sa mère, et que, s'étant retiré en Egypte, il y demeura jusqu'à la mort d'Hérode, « afin que cette parole que le Seigneur avait dite par le prophète fût accomplie : «J'ai rappelé mon fils de l'Egypte. » Ce passage n'est point dans nos exemplaires, mais il se trouve dans le prophète osée selon le texte hébreu: « J'ai aimé Israël, » dit ce prophète, « lorsqu’i1 n'était qu’un enfant, et j'ai rappelé mon fils de l'Egypte. » Voici ce que porte la version des Septante . « J'ai aimé Israël lorsqu'il n'était qu'un petit enfant, et j'ai rappelé ses enfants de l'Egypte. » Doit-on condamner ces interprètes pour n'avoir pas traduit conformément au texte hébreu ce passage qui regarde particulièrement Jésus-Christ , ou doit-on leur pardonner une faute dans laquelle tous les hommes peuvent tomber, selon ce que dit saint Jacques : « Nous faisons tous beaucoup de fautes. Que si quelqu'un ne fait point de fautes en parlant, c'est un homme parfait, et il peut tenir tout le corps en bride? »
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Cette Vulgate était une version latine faite sur celle des Septante, et qui était en usage du temps de saint Jérôme. ↩
