3.
« Seigneur, vous avez été notre demeure dans la suite de toutes les races. » La version des Septante porte : « Seigneur, vous avez été notre refuge dans la suite de toutes les races.» Il y a dans le texte hébreu maon, qui signifie plutôt. demeure, que: refuge. Comme le dessein de Moise est de faire ici la triste peinture des misères du monde et de déplorer les malheurs de tout le genre humain, il commence par louer le Seigneur, afin que les hommes attribuent leurs disgrâces non pas à la dureté du Créateur, mais à l’infidélité de la créature. Est-on agité par quelque tempête, on cherche un rocher ou quelque autre asile pour se mettre à l'abri; se voit-on poursuivi par un ennemi, on se retire dans les villes pour se dérober à ses poursuites; un voyageur se sent-il tout épuisé par les ardeurs du soleil et la sécheresse de la poussière, il cherche l'ombre pour se rafraîchir et se délasser; est-on en danger de devenir la proie d'une bête farouche, on fait tous ses efforts pour se garantir de ce péril. Eh bien! il en est de même de l'homme : depuis le commencement de sa création , il n'a trouvé sa force et son appui que dans Dieu seul. Comme c'est par sa bonté qu'il a été créé, que c'est par sa miséricorde qu'il vit et qu'il subsiste, il ne saurait faire aucune bonne œuvre sans le secours de celui qui lui a tellement donné le libre arbitre qu'il ne lui refuse pas sa grâce pour chaque action, de peur que la liberté de l'homme ne déroge à la dignité du Créateur, ou n'inspire un fonds d'orgueil à la créature, qui n'a été créée libre que pour mieux comprendre qu'elle n'est rien sans le secours de Dieu. «Vous avez été notre demeure » ou « notre refuge dans la suite de toutes les races, » c'est-à-dire : dans tous les temps, avant la loi, durant la loi, sous le règne de l'Evangile et de la grâce. De là vient que l’apôtre saint Paul disait: « C'est par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi, et cela ne vient pas de vous, puisque c'est un don de Dieu. » Aussi cet apôtre dans toutes ses épîtres commence-t-il d'abord par saluer ceux à qui il écrit en leur souhaitant, non pas la paix et ensuite la grâce, mais la grâce et ensuite la paix, afin qu'ayant obtenu le pardon de nos péchés par la grâce, nous puissions mériter la paix du Seigneur.
« Avant la naissance des montagnes et la génération de la terre et de tout l’univers, vous êtes Dieu de toute éternité et dans tous les siècles. « Nous lisons selon les Septante : « Avant que les montagnes eussent été faites, et que la terre eût été formée et tout l’univers, vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles.» Quelques auteurs donnent un mauvais sens à ces paroles, particulièrement ceux qui prétendent que les âmes ont existé avant la formation de l'homme, qui ne fut créé que le sixième jour; car voici comment ils lisent et divisent ces deux versets: « Seigneur, vous avez été notre refuge dans la suite de toutes les générations, avant que les montagnes eussent été faites, ou que la terre eût été formée et tout l’univers. » Après quoi ils ajoutent : « Vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles ; » d’où ils tirent cette conséquence, que si le Seigneur a été le refuge des hommes avant que les montagnes aient été faites, ou que la terre et tout l'univers aient été formés, les âmes existaient dans le ciel avant que Dieu eût créé et formé les corps. Attachons-nous donc à ce texte que nous avons proposé d'abord : « Avant que les montagnes eussent été faites, et que la terre eût été formée et tout l'univers, vous étiez Dieu de toute éternité et dans tous les siècles;» par où le prophète veut nous donner à entendre, non pas que Dieu a été notre refuge avant la création du monde, puisque nous n'existions pas encore alors, mais qu'il est Dieu de toute éternité. Car, bien que l'interprète latin ait traduit: « Depuis les siècles jusqu'aux siècles,» selon la signification du mot hébreu olam, il est plus à propos de traduire: « Depuis l’éternité jusqu'à l'éternité.» C'est dans ce sens que la sagesse, ou Jésus-Christ dont elle est la figure, dit dans les Proverbes : «Le Seigneur m'a créée dans le commencement de ses voies et avant qu'il créât aucune chose ; il m'a établie dès l'éternité et dès le commencement, avant qu'il eût fait la terre et les abîmes, avant que les fontaines fussent sorties de la terre et qu'il eût affermi les montagnes; il ma enfantée avant toutes l'es collines. » Ici le mot de création, que la langue hébraïque exprime par celui de bara, ne doit point nous embarrasser; car il y a dans le texte hébreu: m'a possédée, et non pas : m'a créée; voici ce qu’il porte : « Adonai canani bresith dercho, c'est-à-dire : « Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies. » Or, il y a une grande différence entre « posséder » et « créer » : le mot de «possession » marque que le Fils a toujours été dans le Père et le Père dans le Fils, au lieu que le mot de « création » signifie que celui qui n'était point auparavant a commencé d'être.
