AVANT-PROPOS.
A OCÉANUS.
Il y a plusieurs années que j'écrivis à Paula, cette femme si illustre par sa vertu entre toutes celles de son sexe, pour la consoler de l'extrême déplaisir qu'elle venait de recevoir de la perte de Blesilla ; il y a quatre ans que j'employai tous les efforts de mon esprit pour faire l'épitaphe de Népotien, que j'envoyai à l'évêque Héliodore; et il y a environ deux ans que j'écrivis une petite lettre à mon cher ami Pammaque sur la mort si soudaine de Pauline, ayant honte de faire un plus long discours à un homme très éloquent, et de lui représenter des choses qu'il pouvait trouver en lui-même, ce qui n'aurait pas tant été consoler mon ami que, par une sotte vanité, vouloir instruire un homme accompli en toutes sortes de perfections.
Maintenant, mon fils Océanus, vous m'engagez dans un ouvrage à quoi mon devoir m'engageait déjà et auquel je suis assez porté de moi-même, qui est de donner un jour tout nouveau à une matière qui n'est plus nouvelle, en représentant dans leur éclat et dans leur lustre tant de vertus qui peuvent passer pour nouvelles en ce qu'elles sont extraordinaires; car dans ces autres consolations je n'avais qu'à soulager l'affliction d'une mère, la tristesse d'un oncle et la douleur d'un mari; et, selon la diversité des personnes, chercher divers remèdes dans l'Ecriture sainte; mais aujourd'hui vous me donnez pour sujet Fabiola, la gloire des chrétiens, l'étonnement des idolâtres, le regret des pauvres et la consolation des solitaires.
Quoi que je veuille louer d'abord, ce semblera peu de chose en comparaison de ce que je dirai ensuite, puisque si je parle de ses jeûnes, ses aumônes sont plus considérables; si j'exalte son humilité, l'ardeur de sa foi la surpasse; et si je dis qu'elle a aimé la bassesse et que, pour condamner la vanité des robes de soie, elle a voulu être vêtue comme les moindres d'entre le peuple et comme les esclaves, c'est beaucoup plus d'avoir renoncé à l'affection des ornements qu'aux ornements mêmes, parce qu'il est plus difficile de nous dépouiller de notre orgueil que de nous passer d'or et de pierreries. Après les avoir quittées nous sommes quelquefois enflammés de présomption en portant des habits sales et déchirés qui nous sont fort honorables, et nous faisons parade d'une pauvreté que nous vendons pour le prix des applaudissements populaires; au lieu qu'une vertu cachée, et qui n'a pour consolation que le secret de notre propre conscience, ne regarde que Dieu seul comme son juge.
Il faut donc que j'élève la vertu de Fabiola par des louanges tout extraordinaires, et que, laissant l'ordre dont les orateurs se servent, je prenne le sujet de mon discours des commencements de sa confession et de sa pénitence. Quelque autre, se souvenant de ce qu'il a vu dans le poète, représenterait ici ce Fabius Maximus
Qui par les grands succès d'une valeur prudente soutint, seul des Romains la gloire chancelante, et toute cette illustre race des Fabiens; il dirait quels ont été leurs combats, il raconterait leurs batailles, et vanterait la grandeur de Fabiola en montrant qu'elle. a tiré sa naissance d'une. si longue suite d'aïeux et d'une tige si noble et si éclatante, afin défaire voir dans le tronc des preuves de la grandeur qu'il ne pourrait trouver dans les branches; mais quant à moi, qui ai tant d'amour pour l'étable de Bethléem et pour la crèche de notre Sauveur, où la Vierge-mère donna aux hommes un Dieu-enfant, je chercherai toute la gloire d'une servante de Jésus-Christ, non dans les ornements et les avantages que les histoires anciennes lui peuvent donner, mais dans l'humilité qu'elle a apprise et pratiquée dans l'Eglise.
