V.
Ces objections viennent de ce que la plupart n'ont pas une idée assez juste de la puissance et de la sagesse du créateur et maître de toutes choses; autrement il ne leur serait pas difficile de voir que la Providence a préparé pour chaque animal une nourriture convenable à sa nature et à son espèce ; que son intention n'est pas que toutes sortes de mets s'allient indifféremment avec toutes sortes de corps pour servir à leur développement ; que sa sagesse, après avoir fait le discernement de ce qui est nutritif, d'avec ce qui ne l'est pas, conserve à chaque aliment sa vertu et ses qualités naturelles, ou les lui ôte pour de bonnes raisons; enfin que c'est elle qui dispose de tout à son gré, qui transporte d'un sujet à un autre ce que bon lui semble, avec des vues toujours infiniment supérieures aux nôtres. Outre cette réflexion, il en est une autre que ces hommes n'ont pas faite ; ils me semblent n'avoir pas examiné la nature et les propriétés de chaque aliment et de chaque individu qui s'en nourrit; car ils auraient vu que tout aliment que lé besoin force à prendre ne profite pas toujours, qu'il se corrompt dans les replis de l'estomac, puisqu'il est vomi et sécrété, ou rendu d'une autre manière. En sorte que, bien loin de se mêler aux parties du corps qu'il devait nourrir, il ne peut supporter une première digestion. De plus, il s'en faut bien que ce qui soutient dans l'estomac la première digestion parvienne en entier aux membres qui devaient s'en nourrir; une partie perd dans les intestins sa vertu nutritive ; d'autres parties, à leur seconde transformation, qui se fait dans le foie, sont sécrétées encore, et vont se mêler aux matières déjà dépouillées de la vertu nourricière. Bien plus, toute cette matière ainsi transformée dans le foie ne nourrit pas , mais une partie se sépare encore et demeure ordinairement sans effet ; et souvent le peu qui reste, lorsqu'il arrive à sa destination, c'est-à-dire aux membres ou aux parties de membres qui doivent s'en nourrir, se gâte et se corrompt par le voisinage de quelque humeur maligne et dominante qui infecte ou change en elle-même tout ce qu'elle touche.
