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Oh ! malheur, ô mon âme ! c'est bien ici le cas de pousser ce cri avec le Prophète, de répéter cette parole, de la répéter encore et à chaque instant, oh ! malheur, ô mon âme ! quelle chose déplorable ! quel oubli de toute sagesse !
La virginité est couverte d'opprobres. Le voile qui la séparait du mariage n'existe plus, des mains criminelles n'ont pas craint de le mettre en pièces. Le saint des saints est profané. Le sanctuaire vénérable et terrible de la virginité n'est plus qu'un lieu public, ouvert à tous les indignes qui veulent le fouler de leurs pieds impurs. Un état plus parfait que le mariage a été tellement dégradé et avili, qu'au lieu de dire comme autrefois : Heureuses les vierges, il faut s'écrier : Heureuses les personnes mariées ! Comparé au mariage, le célibat avait toujours eu la priorité de dignité et d'honneur; mais aujourd'hui il n'est pas même digne d'occuper le second rang, il a été rejeté à la dernière place, bien loin après le mariage; ce qu'il y a de plus malheureux dans cette profanation , c'est qu'elle vient non des ennemis et des détracteurs de la virginité, mais de celles qui s'étaient spécialement vouées à son culte : oui, celles qui nous donnaient autrefois le droit d'être fiers en face des infidèles et de les défier hardiment, sont aujourd'hui celles qui nous ferment la bouche et nous couvrent de confusion.
Chez les Grecs, quelques hommes, un très-petit nombre, ont été assez sages pour mépriser les richesses et vaincre la colère; mais jamais la fleur de la virginité n'a brillé au milieu d'eux; sous ce rapport, ils nous l'ont toujours cédé, avouant que cette vertu était au-dessus, absolument au-dessus de la nature humaine aussi notre religion était pour eux un objet d'admiration; hélas ! il n'en est pas de même aujourd'hui; ils n'ont plus pour nous que des railleries et des sarcasmes.
Le démon n'a si violemment soufflé sa rage contre cette partie du troupeau , que parce qu'il a reconnu dans cette phalange des vierges le bataillon sacré du Christ; il a réussi à rendre la virginité assez méprisable pour nous faire souhaiter qu'il n'y ait plus de vierges, s'il` faut qu'elles soient ce que nous les voyons. La cause .de tous ces malheurs, c'est que la virginité n'est plus qu'un nom; tout consiste dans une appellation, ce qui est certainement la partie la moins importante de cette vertu. Quant aux conditions essentielles, on les néglige, on néglige jusqu'aux marques extérieures qui caractérisent cet état. On fait profession de virginité, et l'on n'a nul souci de ce qui sied aux vierges, ni de la décence du vêtement intérieur et extérieur, ni du recueillement, ni de l'esprit de componction, ni des autres qualités qui leur sont propres. On se plaît aux conversations les plus futiles, on se livre à une joie déplacée, on vit dans la dissipation, et on se plonge dans les délices plus que les femmes qui s'étalent dans les lieux de prostitution; des femmes qui se disent vierges usent de toutes sortes d'artifices pour attirer les regards des hommes; elles se jettent dans les turpitudes des courtisanes, comme si elles luttaient avec elles à qui remportera la palme de la honte ! Car enfin, répondez-moi, où trouver quelque chose qui sépare des courtisanes une vierge qui se conduit comme les courtisanes; qui attire dans le piège le coeur des jeunes gens; qui est folâtre , sans retenue , qui présente les mêmes poisons, offre la même coupe et prépare le même breuvage mortel? — Elle ne dit pas, il est vrai : Viens, livrons-nous à l'amour; ni : J'ai parfumé ma demeure de safran, ma couche de cinnamome (Prov. I, 17,18) ; plût au ciel qu'elles eussent embaumé leur demeure et leur couche, et non leurs vêtements et leurs corps l Les prostituées cachent leurs séductions dans leurs maisons, mais toi, vierge indigne de ce nom, tu jettes partout ton filet; portée sur les ailes de la volupté, tu rôdes impudemment sur les places publiques. Non, tu n'as pas articulé ces paroles de la courtisane : Viens, livrons-nous à l'amour. Non, tu ne les a pas dites par la langue, mais tout ton extérieur les proclame; ta bouche a été muette, mais ta démarche parle; ta voix n'a pas invité, mais tes yeux provoquent plus clairement que ta voix. Diras-tu que si tu as provoqué, tu ne t'es pas livrée; tu n'es pas exempte de péché pour cela; cette conduite. est une fornication d'un autre genre. Tu es restée pure de toute flétrissure dans ton corps, mais non dans ton âme. 1'u as commis le péché pleinement, sinon par l'acte charnel, du moins par le regard.
Pourquoi appelles-tu les passants? pourquoi allumes-tu le feu ? comment te crois-tu exempte d'un péché dont tu es la première cause? cet époux, séduit par ton extérieur immodeste, devient adultère, et toi tu ne le serais pas? que serais-tu donc, lorsque tes oeuvres sont des oeuvres d'adultère? Car la folle passion de ce malheureux est ton ouvrage. Puisque tu pousses à l'adultère, tu n'échapperas en aucune façon au- supplice réservé à ce crime. Tu as aiguisé le glaive, tu en as armé . ta main; cette main armée, tu l'as poussée contre cette âme infortunée : comment donc pourras-tu échapper au supplice de l'homicide? Dis-moi, quels sont ceux que nous détestons, que nous repoussons avec horreur? quels sont ceux que punissent les législateurs, les juges? Est-ce celui qui boit un poison mortel, ou celui qui apprête le breuvage, prépare la coupe et perd les autres par ses criminels artifices ? Celui qui boit le poison, n'en prenons-nous pas pitié comme d'une victime malheureuse? Mais les empoisonneurs, ne les accablons-nous pas du poids unanime de toutes nos condamnations? Il ne suffit pas à ceux-ci de dire pour s'excuser; je ne me suis point fait de mal à moi-même, j'en ai seulement fait à un autre. C'est précisément ce qui vous expose à un plus rigoureux châtiment.
Toi, malheureuse, toi, misérable, tu as préparé la coupe mortelle, tu as présenté, tu as donné le poison; et quand le poison est bu, quand il a causé la mort, tu te crois en sûreté parce que, n'ayant pas bu toi-même, tu n'as fait que le donner à un autre ! Eh bien ! toi et tes semblables, vous subirez un châtiment plus rigoureux que les empoisonneurs publics, d'autant plus que la mort que vous donnez est plus terrible ; car, ce n'est pas le corps seulement, mais l'âme que vous frappez à mort. Ces empoisonneurs agissent souvent par fureur ou par colère ou poussés par la misère, pour vous, vous ne pouvez vous retrancher derrière aucun de ces prétextes. Vous n'avez pas d'injure à venger, ni d'ennemis à frapper, ni de misère à repousser; c'est par un simple motif de coquetterie que vous vous jouez du salut des âmes : vous mettez votre jouissance dans leur mort.
