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Mais pourquoi, dites-vous, cette enquête si minutieuse et si acharnée? Ne vous suffit-il pas de savoir que ces hommes ne partagent pas le même lit avec nous, qu'il n'existe entre eux et nous aucun commerce charnel comme il en existe entre les femmes de mauvaise vie et leurs amants.? — Plusieurs pourtant affirment positivement le contraire. — Eh bien ! répliquez-vous, que cette calomnie retombe sur eux. — Si cette accusation né doit retomber que sur eux, c'est ce que nous verrons plus tard. Nous avons déjà démontré dans le dis, cours que nous avons adressé aux hommes vos complices, qu'en cette circonstance la même culpabilité pèse et sur ceux qui médisent et sur qui ceux donnent lieu à la médisance. Néanmoins nous le démontrerons encore une fois. En attendant, si je vous demande pourquoi vous habitez avec un homme, vous ne pourrez absolument rien me répondre. Mais, dites-vous, je suis faible, je suis femme, et seule je ne puis me suffire. Pourtant, quand j'ai fait les mêmes représentations à ces hommes qui habitent avec vous, ils m'ont répondu au contraire, qu'ils vous conservaient près d'eux pour que vous les servissiez. Quand il s'agit de servir des hommes, vous trouvez en vous une surabondance de forces, et pour vous rendre ces services mutuels entre femmes, les forces vous manqueraient au point de vous obliger à appeler à vous des aides d'un autre sexe! Comment cela se fait-il? Non, il est plus avantageux et plus convenable que l'homme habite avec l'homme, et la femme avec la femme; les hommes trouvent votre service préférable à celui des hommes, les personnes de votre sexe devront penser de même, à plus forte raison.
En quoi, je vous le demande , là compagnie d'un homme peut-elle vous être nécessaire? Quelle fonction peut-il remplir à l'égard d'une femme, qu'une femme elle-même ne puisse remplir ? est-ce qu'il pourra mieux qu'une femme filer la laine et faire de la toile? c'est le contraire, il n'y réussirait pas avec la meilleure volonté du monde, à moins que vous ne lui apprissiez ce métier qui est exclusivement un métier de femmes. Saura-t-il laver les vêtements, allumer le feu, faire bouillir la marmite? encore moins; une femme fait mieux tout cela qu'un homme.
En quoi donc, je le répète, un homme, peut- il vous être utile? est-ce quand il s'agit de vendre ou d'acheter? ici encore la femme n'est pas douée de moins d'aptitude que l'homme ; allez sur la place publique: par qui se fait le commerce des étoffes? par des femmes. Si vous dites que c'est une honte pour une vierge, et c'en est une en effet, de rester sur une place pour faire du commerce, je vous demanderai s'il n'est pas plus honteux encore d'habiter avec un homme? Evitez, je le veux bien, je vous y engage même, une occupation peu convenable à votre état, laissez le soin de vendre et d'acheter à la jeune fille qui sert comme domestique, ou aux personnes âgées qui sont propres à ces sortes de choses; mais évitez à plus forte raison une honteuse cohabitation.; De tout ce qui vient d'être dit, je conclus que ces raisons ne sont que de vains prétextes, et comme des voiles qui cachent une grande misère. Quelle misère, dites-vous, quels voiles ? Si je voulais un époux, si je désirais le mariage, qui pourrait m'empêcher d'embrasser cet état? ne saurais-je pas le faire sans que Dieu fût offensé, et sans que les hommes eussent des reproches à m'adresser? c'est précisément ce que je dis, et ces paroles sont moins les vôtres que les nôtres. Mais il reste toujours à nous dire en quoi un homme vous est si nécessaire , et si vous ne pouvez nous le dire, il faut chasser celui qui habite avec vous au scandale de tous, c'est le seul moyen que vous ayez de détourner de vous le déshonneur; car, encore une fois, ce que vous venez de dire se tourne contre vous; c'est précisément le langage que tiennent ceux qui gémissent de votre honte. Quand même le ministère d'un homme vous eût été très-avantageux, il ne fallait pas vous en servir au risque de vous déshonorer; là où la gloire de Dieu souffre préjudice, il ne peut exister de motif pour dispenser de tenir compte d'un si grand mal. Que dis-je? quand il faudrait mourir mille fois par jour pour éviter un tel malheur, on devrait le faire avec la plus grande joie, à plus forte raison ne doit-on pas s'y exposer pour un peu de repos, pour quelque soulagement à procurer à son corps. Ecoutez avec quel tremblement saint Paul redoutait de porter atteinte à la gloire de Dieu. J'aime mieux mourir, dit-il, que de voir quelqu'un me ravir ce qui fait ma gloire. (I Cor. IX, 15.) Oui, pour ne pas perdre ce qui faisait sa gloire, il eût préféré la mort, et nous, pour faire disparaître un scandale, nous ne mettons pas de côté un tout petit avantage? se laisser ravir ce qui fait sa gloire et sa réputation, et persister dans le crime, quelle différence ! Et comment serons-nous sauvés? En consentant à ce qu'on voulait de lui, saint Paul n'aurait point offensé Dieu , car Dieu lui-même avait déclaré qu'il avait le droit de vivre de l'Evangile, et pourtant il aurait mieux aimé mourir que de renoncer à la généreuse résolution qu'il avait prise de se suffire à lui-même; et nous , au mépris de l'ordre établi partout , nonobstant les jugements de Dieu, nous ne voulons pas rompre avec une misérable habitude, une habitude qui choque toutes les bienséances. Où est notre excuse pour compter sur l'indulgence du souverain Juge? quand même un homme paraîtrait nécessaire pour rendre certains services, comme déjà je l'ai dit, il vaudrait mieux, à cause des graves scandales qui en résultent, choisir la mort que de s'exposer à de tels inconvénients; mais, puisqu'une femme peut vous rendre tous les services dont vous avez besoin, et plus convenablement, et plus facilement, quel pardon pouvez-vous espérer pour toutes ces sensualités que vous ne craignez pas d'acheter au prix de votre honneur et de votre salut?
Dites-moi encore ceci : aux services que cet homme vous rend, ne répondez-vous pas par des services réciproques? Personne n'en doute. — Combien donc ne vaudrait-il pas mieux ne recevoir aucun service pour n'en pas avoir à rendre, et profiter pour vous du temps que vous employez à ménager le repos d'un autre? A cela vous gagneriez doublement : vous auriez moins de peine, et vous ne perdriez pas votre réputation.
Vous ne lui rendez aucun service, direz-vous? Le voilà donc obligé d'être lui-même son propre serviteur. Arranger son lit, allumer le feu, préparer les aliments et se livrer à toutes les occupations de ce genre. Un serviteur ne voudrait pas faire une pareille besogne sans recevoir un salaire. Cet homme, dites-vous, la fait, lui, par des motifs de piété et à cause de la récompense qui en couronnera les fatigues; il nous saura gré des services que nous exigeons de sa docilité, bien loin de demander aucun salaire. — Comment donc fermerons-nous la bouche à ces effrontées qui ne sont jamais à court d'objections? — Si sa piété est aussi éminente que vous prétendez, s'il craint Dieu et respecte ses commandements au point de s'abaisser, pour ce motif, au-dessous du dernier des esclaves et de vous rendre tous les services imaginables sans recevoir aucune récompense, avant tout ne devrait-il pas s'intéresser à l'honneur et à la gloire de Dieu? Comment expliquer de la part de la même âme et dans le même moment, tant de soumission et tant de mépris pour les commandements de Dieu? Comment concilier une si entière et si craintive docilité aux lois divines, avec l'outrage que l'on jette si hardiment au législateur divin lui-même ?Vous le supposez invulnérable aux traits de la volupté, supérieur aux faiblesses de la nature humaine; il s'humilie, se mortifie, se condamne à toutes sortes de travaux, pour procurer du soulagement aux autres. Voilà, je l'avoue, une vertu sublime, une charité héroïque. Mais pourquoi néglige-t-il les devoirs les plus ordinaires, ceux que l'on voit remplir aux hommes de la vertu la plus commune : s'abstenir de flétrir la gloire de Dieu, ne rien se permettre qui puisse provoquer les blasphèmes de l'impiété? Comment donc croirons-nous que vous fassiez uniquement pour Dieu, et par pur esprit de pénitence, des choses qui demandent, qui supposent une âme grande et généreuse, lorsque vous n'avez pas la force de pratiquer le devoir le plus simple, le plus élémentaire? Vous qui êtes si parfait, comment se fait-il que vous refusiez de sacrifier une liaison qui outrage Dieu, que vous persistiez dans un état qui lui déplaît au risque de vous perdre vous-mêmes corps et âme? A qui pourra-t-on faire croire de pareilles choses ? — Mais je ne sais pourquoi j'ai laissé de côté les vierges pour parler de ceux qui habitent avec elles: je reviens à mon sujet.
