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Il circule sur leur compte des bruits injurieux que je voudrais arrêter. — Ne vous en mettez pas en peine, me dit-on. — Est-ce là le fait d'une âme qui craint Dieu? Ne nous inquiétons pas des médisants, lorsque nous ne donnons pas lieu à la médisance, soit; — et encore devons-nous, même alors, leur fermer la bouche, si nous le pouvons; mais si la faute vient de nous, attendons-nous à voir retomber sur notre tête tout le feu qu'elle allumera dans l'enfer : Si vous péchez contre vos frères, dit l'Apôtre, et si vous blessez la conscience de ceux qui sont faibles, c'est contre le Christ que vous péchez. (I Cor. VIII, 12.) Il savait et savait très-bien que nous ne trouverions pas une excuse dans la faiblesse de ceux qui se scandalisent, mais que cette faiblesse serait précisément la cause de notre condamnation. Oui, plus nous sommes innocents du scandale, plus il est digne de nous de ménager la faiblesse de ceux qui en souffrent. Je ne soutiens pas encore qu'on a raison de se scandaliser de votre conduite ; je suppose au contraire qu'on se scandalise à tort : même dans ce cas il faut tenir compte de la faiblesse du prochain. Cette doctrine est celle de saint Paul dans son Epître aux Romains: N'allez pas, dit-il, sous prétexte de prendre votre nourriture, détruire l'œuvre de Dieu. (Rom. XIV, 20.) Ceux dont parle l'Apôtre se scandalisaient à tort, pourtant ses reproches tombent non sur ceux qui sont scandalisés, mais sur celui qui scandalise. Car, je le répète, c'est seulement lorsque l'avantage surpasse le dommage qu'il ne faut pas tenir compte de ceux qui se scandalisent. Si l'unique résultat de votre conduite est la ruine des faibles, quand même ils auraient mille fois tort, il faudrait les épargner. Dieu appliquera la sentence. portée par lui et punira ceux qui poussent les autres vers leur ruine : parce que nuire gratuitement à autrui, suppose un coeur très-méchant. Quand nous voyons un homme que sa mauvaise santé rend morose, nous renvoyons de la maison ceux qui le fatiguent, sans trop nous inquiéter s'ils ont tort ou non; nous n'écoutons même pas leurs justifications; nous pardonnons tout au malade à cause de son état; et quand même son irritation serait injuste , nous lui donnons droit par pitié. Si donc nous usons de ces précautions en faveur de nos serviteurs et de nos enfants, si nous allons jusqu'à punir un fils pour cette faute, à plus forte raison, Dieu agira-t-il de la sorte, lui si bon, si clément, si juste?
N'objectez donc plus la faiblesse de celui que vous scandalisez. S'il est faible, c'est une raison pour l'épargner et non pour le blesser : Est-il blessé ? n'aigrissons pas sa plaie, pansonsla. Forme-t-il des soupçons injustes et téméraires? nous devons les faire disparaître et non les fortifier. C'est pécher contre le Christ que de contester cette doctrine. N'entendez-vous pas dans l'Ancien Testament Moïse dire souvent: Dieu est un Dieu jaloux (Exod. XX, 5) ; et encore : Je suis jaloux de Jérusalem (Zach. I, 14) ; et dans le Nouveau, Paul qui s'écrie : Mon amour pour vous me rend jaloux, mais jaloux selon Dieu? (II Cor. XI, 2.) Ce motif, quand il serait seul, devrait suffire pour ramener une âme quine serait pas très-malade et très-pervertie. Si terrible qu'elle soit, cette jalousie de Dieu est encore plus douce que terrible. La jalousie ne va pas sans un grand amour, sans une charité ardente, lajalousie de Dieu est donc la preuve de la charité ardente, de l'immense amour de Dieu pour nous. La jalousie de Dieu n'est pas de la passion: mais Dieu voulant nous faire comprendre en une certaine façon la grandeur de son amour s'est souvent servi pour cela de cette expression. Et pourtant nous, insensés que nous sommes ! nous nous rabaissons aux affections humaines, nous outrageons Celui qui nous aime à ce point, et ceux qui ne peuvent être pour nous d'aucune utilité, nous avons pour eux toutes sortes d'égards et de tendresses.
Dites-moi, infortunée que vous êtes, quelle utilité retirez-vous de ce commerce misérable, en compensation des grands biens dont il vous prive? Voyez, je vous prie, il vous éloigne du ciel, il vous chasse de la chambre nuptiale du Fiancé céleste, il vous arrache à ses chastes embrassements , il vous prépare ici-bas des douleurs continuelles et vous montre dans l'avenir des tourments sans fin ! Quand même, celui qui habite avec vous, vous donnerait en retour de l'or en abondance, quand même il serait plus attentif que le plus fidèle des serviteurs , quand même il vous élèverait en honneur et en dignité comme une reine glorieuse, ne devriez-vous pas le repousser, l'avoir en horreur comme un ennemi, un fléau, un être odieux qui vous ravit plus qu'il ne vous donne? Votre devoir serait de vous appliquer aux biens célestes, au royaume futur, à la vie immortelle, à une gloire ineffable, et vous, vous ne parlez que d'affaires temporelles et vous honorez comme votre seigneur et maître celui que vous croyez utile à l'administration de ces biens, et vous ne vous cachez pas , et vous ne dites pas à la terre de vous engloutir pour vous dérober à la honte ! Mais voilà que vous mettez en avant la faiblesse de la femme, le maniement des choses temporelles, la tranquillité de votre maison : imagination que tout cela, prétextes vains ! vous ne tromperez pas les personnes clairvoyantes. Non, non, point de repos au prix d'une telle honte ! une femme, si elle veut, peut non-seulement se suffire à elle-même; mais encore être utile à beaucoup d'autres, puisque dès l'origine des choses l'homme a dû se charger de l'administration des affaires civiles et politiques, et que la femme a eu en partage le soin et le maniement des affaires domestiques. Ce n'est donc pas pour votre tranquillité que vous entraînez des hommes dans l'intérieur devos maisons. Pour quel motif est-ce donc? pour satisfaire des passions honteuses ? je ne le dis pas: arrière un tel langage , je reprends même sans cesse ceux qui parlent ainsi : fasse le ciel que je les persuade ! Voulez-vous que je vous dise, moi, quel est votre motif ? c'est l'amour de la vaine gloire. La cohabitation procure aux hommes un plaisir insipide, une jouissance misérable, et les femmes la désirent par amour de la vaine gloire et pour satisfaire leur vanité.
