5.
Ne nous en étonnons point, et gardons-nous de croire que les secondes noces, quoique permises par l'Apôtre, soient dignes de nos éloges et de l'approbation publique. Sans doute on ne peut les condamner comme criminelles, mais elles ne sauraient prétendre à nos louanges et nos encouragements. (l Tim. V, 14.) Il en est des secondes noces comme de l'infraction du conseil donné aux époux de s'abstenir du devoir conjugal les jours de jeûne et de temps en temps : ce n'est pas un péché, c'est un signe d'incontinence et de volupté; c'est une conduite que nous n'avons pas le droit de blâmer, mais qui est loin de mériter nos éloges; tout ce que nous pouvons faire, c'est de traiter ces époux avec une grande indulgence, parce qu'ils sont véritablement faibles et peu généreux.
Vous craignez donc, ô veuve, de passer pour méchante, si vous punissez des serviteurs infidèles, et vous ne redoutez pas d'être considérée comme une femme sensuelle et voluptueuse en vous remariant !
Cette énergie nécessaire à la conservation de sa fortune, pourquoi une veuve ne pourrait-elle pas la déployer? Au reste, ce n'est pas encore le meilleur moyen qu'elle ait de mettre sa fortune en sûreté, il en existe un autre dont elle pourra user sans encourir aucun blâme, en s'attirant même les éloges des gens de bien, et surtout l'approbation de Dieu. Déposez, veuve chrétienne, vos richesses dans le ciel, enfouissez-les dans ce lieu inviolable, et loin de diminuer, elles prendront un rapide accroissement; telle est la loi : Ce que l'on sème dans le sillon de la charité fructifie au centuple.
Mais si une veuve hésite à suivre cette loi de la pauvreté évangélique, et à envoyer ainsi devant elle tous ses trésors, du moins elle peut prévoir qu'un nouvel époux ne se préoccupera point de les augmenter. Et quand même il s'y dévouerait, elle doit encore considérer que pour les accroître il l'exposera souvent à blesser la justice envers Dieu et envers les hommes. Admettez en effet qu'il soit riche et puissant., et vous le verrez contraindre souvent son épouse à agir contre sa conscience. Ainsi les secondes noces deviendront plus tristes et plus onéreuses que l'état de viduité. Ajoutez encore le danger trop probable d'une ruine entière. En demeurant veuve, elle est comme certaine, malgré quelques pertes partielles, de conserver le fonds de sa fortune; mais en se remariant à un homme puissant et chargé de l'administration des deniers publics, elle court risque de tout perdre, puisque la femme partage nécessairement les malheurs de son mari. Je veux bien cependant supposer que cette veuve soit à l'abri de tels périls; je pourrai toujours lui demander pourquoi elle préfère la servitude à la liberté, et de quelle utilité lui sont des richesses dont elle ne peut user à son gré? Il vaut mieux pour elle. de posséder réellement une modique fortune, que d'avoir toutes les richesses de la terre à la condition de les livrer à un maître dont elle devient elle-même l'esclave.
Je pourrais encore alléguer ici les soucis et les chagrins, les injures et les reproches, les soupçons, la jalousie et tous les maux inséparables du mariage ; mais s'il est bon et utile d'en parler à la vierge qui les ignore, pour éclairer son inexpérience, il est superflu de les rappeler à une veuve qui les a éprouvés, et qui les connaît bien mieux que vous ne pourrez le lui apprendre. Je dirai seulement que la vierge apporte dans l'union conjugale un certain abandon et une certaine confiance que les secondes noces excluent. Celui qui épouse une veuve l'aime comme sa femme, et non comme l'ayant prise encore vierge. Mais qui ne sait que ce second amour est plus violent que le premier, et qu'il s'élève jusqu'au transport de la fureur? Aussi la veuve qui se remarie ne possédera-t-elle jamais pleinement le coeur et l'affection de son nouvel époux. Tous les hommes, soit jalousie, vanité, ou tout autre motif, n'aiment fortement que les choses qui n'ont point appartenu à d'autres, et dont ils sont les seuls et les premiers maîtres. Nous le voyons par rapport aux vêtements, dans la préférence que nous donnons à un habit neuf sur celui qui déjà aurait été porté. Il en est de même d'une maison et de ses meubles. Qui aime une maison qui lui a été donnée autant que celle qu'il a lui-même fait bâtir? Quand des meubles sont neufs, et que nous nous en servons les premiers, nous en usons avec précaution et ménagement. Mais si nous les possédons de seconde, ou de troisième main, nous les estimons pou, et quelquefois même nous les méprisons au point d'en changer la forme, ou l'usage. Appliquez à l'union conjugale la puissance de cet instinct, et -dites quelle en sera la force, puisqu'un mari n'a rien de plus précieux que sa femme. Sur toute autre 'chose, il se prête volontiers aux- désirs d'un ami, mais sur ce point il est inexorable, et préfère la mort au déshonneur. Je le répète donc, l'homme aime, de toute son âme, la femme qu'il épouse vierge, et dont il s'approprie la virginale pureté; il ne regardera point d'un oeil également bon et affectueux celle qui lè recherche en secondes noces.
