2.
Et ne vous étonnez pas que j'aie appelé les Juifs malheureux. Ils sont, en effet, malheureux et bien à plaindre, eux qui ont repoussé tant de biens venus du ciel en leurs mains, et qui les ont rejetés avec la plus criminelle obstination. Le soleil matinal de justice s'est levé sur eux, mais ils en ont repoussé les rayons et ils sont assis dans les ténèbres; nous, au contraire, nourris dans les ténèbres, nous avons attiré la lumière à nous, et nous avons été délivrés de l'obscurité de l'erreur. Ils étaient les rameaux de la racine sainte, et ils ont été brisés (Rom. XI, 16, 17) ; mais nous qui ne tenions pas à la racine, nous avons porté des fruits de piété. Ils ont connu les prophètes dès le premier âge, et ils ont crucifié Celui qui était annoncé par les prophètes ; nous, qui n'avions pas entendu les divins oracles, nous avons adoré Celui que les prophètes annonçaient. Ils sont malheureux, parce que les biens qui leur étaient envoyés, ils les ont repoussés, tandis que d'autres les ravissaient et les attiraient à eux. Ces mêmes Juifs, qui étaient appelés à l'adoption des enfants, sont descendus dans la famille des chiens; mais nous qui étions des chiens, nous avons pu, par la grâce de Dieu, déposer notre irrationnabilité première, et nous élever à la dignité des enfants. Je vais vous le prouver par l'Ecriture? Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens (Matth. XV, 26), disait le Christ à la Chananéenne. Ici ce sont les Juifs qui sont appelés enfants, et le nom de chiens est donné à ceux qui sortaient des nations. Mais, voyez comme cet ordre a été renversé, comme ils sont devenus des chiens, et nous des enfants. Gardez-vous des chiens, dit d'eux saint Paul (Philip. III, 2, 3) ; gardez-vous des mauvais ouvriers, gardez-vous des faux circoncis, car c'est nous qui sommes les vrais circoncis. (Philip. III, 2, 3.) Vous le voyez, saint Paul traite de chiens ceux qui, dans l'Evangile, sont appelés les enfants. Voulez-vous voir le nom d'enfants accordé aux Gentils flétris autrefois par l'épithète de chiens? Ecoutez : Tous ceux qui l'ont reçu, est-il dit (Jean, I, 12), il leur a donné la faculté de devenir enfants de Dieu. Rien de plus misérable que ces Juifs, courant en toute circonstance à leur perte. Quand il fallait observer la loi, ils l'ont foulée aux pieds, et maintenant que la loi a cessé, ils mettent un zèle excessif à l'observer. Rien de plus digne de pitié que ce peuple qui, non-seulement par la transgression, mais encore par l'observation de la loi, a toujours excité la colère de Dieu. C'est pourquoi, il est dit : Vous qui avez la tête dure et le coeur incirconcis, vous avez toujours résisté à l'Esprit-Saint (Act. VII, 51), non-seulement en violant les lois, mais encore en voulant les observer à contre-temps.
Têtes dures ! rien de plus juste que cette qualification; car ils n'ont pas porté le joug de Jésus-Christ, encore qu'il soit suave, et qu'il n'ait rien d'onéreux ni de pénible. Apprenez de moi, dit-il en effet, que je suis doux et humble de coeur, et mettez mon joug sur vous, parce que mon joug est suave et mon fardeau léger. (Matth. XI, 29, 30.) Cependant, à cause de la dureté de leurs têtes ils ont refusé de le porter; et non-seulement ils ne l'ont pas porté, mais ils l'ont brisé et rompu. Car, dés le commencement, est-il dit, vous avez brisé mon joug, vous avez rompu mes liens. (Jérém. II, 20; V, 5; et Ps. II, 3.) Et ce n'est pas saint Paul qui parle ainsi, c'est le Prophète qui pousse ce cri de douleur ; par les termes de joug et de liens, il entend les symboles de l'autorité; or, les Juifs ont rejeté la royauté du Christ, quand ils disaient : Nous n'avons pas d'autre roi, que César. (Jean, XIX, 15.)
Par cette parole, peuple Juif, tu as brisé le joug légitime, tu as rompu le lien de Dieu; tu t'es exclu toi-même du royaume des cieux, et tu t'es soumis aux puissances humaines. Considérez, mes frères, avec quelle précision le Prophète fait entendre qu'ils sont impatients de tout frein. Il ne dit pas, en effet : tu as rejeté le joug, mais : tu as brisé le joug, ce qui est le vice propre des animaux fougueux, emportés et rebelles à tout commandement.
Mais, d'où leur est venue cette dureté? De la gourmandise et de l'ivresse. Qui a dit cela? Moïse lui-même. Israël a mangé, et il a été rempli et engraissé, et le bien-aimé a regimbé. (Deut. XXXII, 15.) Les animaux sans raison, qui se sont engraissés d'une nourriture abondante, deviennent plus rétifs et plus indociles : ils ne souffrent ni le joug, ni le frein, ni la main du conducteur; ainsi le peuple juif, ivre et trop gras, s'est précipité dans une malice extrême, il a rué, il n'a pas accepté le joug de Jésus-Christ, ni tiré docilement la charrue de la doctrine. C'est encore ce qu'un autre prophète a fait entendre, en disant: Israël s'est livré à des transports frénétiques comme une génisse furieuse. (Osée, IV, 16.) Un autre les appelle : Un jeune taureau indompté. (Jérém. XXXI, 18.) Mais si ces animaux sont impropres au travail, ils sont bons pour la boucherie. Semblable chose est arrivée aux Juifs; s'étant rendus impropres au travail, ils sont devenus bons pour la boucherie. C'est pourquoi Jésus-Christ lui-même a dit : Amenez ici mes ennemis, ceux qui ne veulent pas que je règne sur eux, et immolez-les. (Luc, XIX, 27.) C'était alors, ô Juif, qu'il fallait jeûner, c'était quand ton ivresse te poussait dans l'abîme de tous les maux, quand la gourmandise te conduisait à l'impiété et non maintenant; car maintenant ton jeûne est inopportun et abominable. Qui a prononcé cette sentence? Isaïe lui-même, criant d'une voix forte: Je n'ai pas approuvé ce jeûne, dit le Seigneur, pourquoi? Parce que vous jeûnez pour vous livrer aux procès et aux querelles, et vous frappez à coups de poing vos subordonnés. (Is. LVIII, .4, 5.) Si, quand tu frappais tes compagnons d'esclavage, ton jeûne était déjà abominable, après que tu as immolé le Maître, ton jeûne sera-t-il agréé? Est-ce possible et vraisemblable?
Ceux qui jeûnent doivent être réservés, contrits, humbles, non pas ivres de colère; et toi tu frappes tes compagnons d'infortune? Autrefois, les Juifs jeûnaient pour se, livrer aux procès et aux querelles; maintenant, c'est pour s'adonner au libertinage et à une extrême licence, en dansant nu-pieds sur les places publiques. Il est vrai, le prétexte, c'est que l'on jeûne, mais l'action est celle de gens ivres. Entendez de quelle manière le Prophète ordonne de jeûner : Sanctifiez le jeûne, dit-il. Il ne dit pas : Donnez le jeûne en spectacle ; faites publier le culte divin, rassemblez les anciens. (Joël, I, 14.) Mais eux, ils réunissent des troupes d'efféminés; ils ramassent des prostituées, ils introduisent dans la synagogue le théâtre tout entier avec les comédiens ; car entre la synagogue et le théâtre, il n'y a pas de différence. Je sais bien que quelques-uns m'accuseront d'être téméraire dans mes paroles, pour avoir dit que la synagogue ne diffère en rien du théâtre; mais j'accuserai moi-même de témérité ceux qui ne penseront pas comme moi à cet égard; si l'accusation vient de moi seul, que l'on me condamne, j'y consens; mais, si je ne fais que rapporter les paroles du Prophète, que l'on ajoute foi à ma déclaration.
