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Pensant à cet exemple, soyons miséricordieux, et pardonnons facilement à ceux qui nous offensent. Les cent deniers, dont il est parlé dans la parabole, ce sont les offenses qu'on nous fait; mais les offenses que nous faisons à Dieu seraient des milliers de talents. Vous savez, en effet, qu'on juge aussi les fautes d'après la qualité des personnes que nous offensons. Par exemple, celui qui offense un simple citoyen, pèche, mais non pas comme celui qui insulte un prince. L'offense croît à proportion que celui qui l'a reçue est élevé en dignité. Si on offense le roi, la faute est beaucoup plus considérable encore. L'injure est la même, à la vérité, mais elle devient plus grave à cause de la dignité de la personne offensée.
Mais si celui qui blesse un roi, est livré à un supplice intolérable à cause de la considération qui s'attache à la royauté, combien de talents ne devra pas à Dieu celui qui l'aura insulté ? C'est pourquoi, quand les péchés que nous commettons contre Dieu seraient les mêmes que ceux que nous commettons contre les hommes, ils ne seront cependant pas égaux; il y aura entre eux toute la différence qu'il y a entre l'homme et là divinité.
Mais je trouve un plus grand nombre de fautes encore qui sont très-graves, non-seulement par l'excellence de celui qu'elles blessent, mais par elles-mêmes. C'est unie chose horrible que je vais dire, une chose vraiment terrible : il faut la dire cependant, pour qu'ainsi les âmes soient frappées et émues : oui, je vous montrerai que nous craignons les hommes beaucoup plus que Dieu, que nous honorons les hommes beaucoup plus que Dieu ! Faites attention en effet : celui qui commet un adultère sait que Dieu le voit, et il le méprise; mais si un homme le voit, il réprime sa concupiscence. Celui qui agit ainsi, celui-là non-seulement estime les hommes plus que Dieu, non-seulement fait une injure à Dieu, mais même, ce qui est plus grave, craint ses semblables et méprise le Seigneur. Car s'il voit un mortel, il éteint la flamme de sa passion, ou plutôt est-ce bien une flamme ? non, c'est une insolence. S'il n'était pas permis d'avoir un commerce avec une femme, on aurait droit de dire que c'est une flamme, mais maintenant c'est une insolence , une débauche; voit-il des hommes, sa démence tombe aussitôt, mais il-se soucie moins de lasser la longanimité de Dieu. De même cet autre qui vole a conscience de son larcin , et il essaie de tromper les hommes, il se défend contre les accusateurs, il donne une apparence spécieuse à sa défense ; mais pour Dieu qu'il ne peut pas tromper, -il n'en a nul souci, il ne le craint pas, il ne l'honore pas. Si un roi nous ordonne de ne pas mettre la main sur l'argent d'autrui, ou même de donner nos propres richesses, nous les apportons aussitôt : et quand Dieu nous ordonne de ne pas ravir, de ne pas prendre les biens des autres, nous n'obéissons pas. Ne voyez-vous pas que nous avons plus d'estime pour les hommes que pour Dieu?
Ces mots vous sont pénibles et vous blessent, dites-vous ? — Montrez donc parles faits .mêmes combien ils vous sont pénibles. Fuyez (440) les péchés qu'ils désignent, car si vous ne fuyez pas ces péchés, comment pourrai-je vous croire lorsque vous direz : Les mots nous font peur et tu nous accables? — C'est vous qui vous accablez vous-mêmes par vos fautes; moi je me contente de dire la qualité des péchés que vous commettez, et vous vous indignez n'est-ce pas déraisonnable? Plaise à Dieu que tout ce que je dis soit faux ! J'aime mieux emporter la réputation d'avoir été injurieux en ce jour, comme vous ayant fait des reproches inutiles et nullement fondés, que de vous voir de ces péchés, accusés au tribunal redoutable. — Maintenant non-seulement vous préférez les hommes à Dieu, mais même vous forcez les autres à faire comme vous : beaucoup y forcent nombre d'esclaves et de serviteurs. On contraint les uns à se marier malgré eux, les autres à rendre des services criminels pour un amour impur, pour des vols, des fraudes et des violences. Ainsi c'est double crime, et ceux mêmes qui agissent malgré eux, ne peuvent pas obtenir le pardon en donnant cette excuse. Si vous faites une mauvaise action malgré vous, pour obéir au prince, l'ordre que vous avez reçu ne vous sera pas une défense suffisante; mais votre péché devient plus grand, lorsque vous forcez aussi les autres à mal faire. Quelle grâce pourra donc être faite à un tel coupable? Si j'ai dit ces choses, ce n'est pas que je veuille vous condamner ; j'ai seulement voulu montrer combien nous sommes les débiteurs de Dieu. Car si, lors même que nous honorons Dieu autant que l'homme, nous faisons encore injure à Dieu, combien plus grande ne sera pas l'injure lorsque nous lui préférons les hommes.? Si les offenses que nous faisons aux hommes deviennent bien autrement graves lorsque nous les faisons à Dieu, combien ne sont-elles pas plus graves encore, lorsque par elles-mêmes elles sont déjà grandes et considérables ? Que chacun s'examine attentivement et il reconnaîtra qu'il fait tout pour les hommes. Nous serions bien heureux si nous faisions autant pour Dieu que pour les hommes, pour l'estime que nous attendons d'eux, pour la crainte ou le respect qu'ils nous inspirent. Puis donc que nous avons tant et de si grandes dettes, nous devons mettre la plus grande ardeur à pardonner à ceux qui nous offensent et nous trompent, et à oublier les injures. Car pour se délivrer de ses fautes, il ne faut pas de rudes travaux, de grandes dépenses, ni rien de tel, mais seulement la volonté de l'âme; il n'est pas besoin d'entreprendre un voyage, de partir pour une autre contrée, d'affronter des dangers, de supporter des fatigues, il suffit de vouloir.
