5.
Il faut élever ton âme au niveau de ta puissance; il faut justifier la Fortune, et prouver qu’elle n’a pas été aveugle en t’accordant, plus qu’à ton père, ses faveurs à l’entrée de la vie. Ton père est devenu, d’illustre général, empereur; toi c’est en ta qualité d’empereur que tu es général; tu dois à la Fortune de pouvoir te signaler par des exploits. La puissance qu’il a conquise par ses travaux est venue t’échoir par héritage ; mais tu ne peux la garder sans peine. C’est là, je ne saurais trop le répéter, une tâche difficile, qui exige une singulière vigilance, si l’on ne veut pas que la Fortune tourne le dos au milieu de la route, comme un infidèle compagnon de voyage ; car c’est à de faux amis que les sages comparent cette inconstante. Vois ton père lui-même: quoiqu’il ne dût le rang suprême qu’à ses glorieux faits d’armes, l’envie n’a pas voulu que la vieillesse restât en repos : aussi Dieu lui a maintenu sa couronne. Marchant contre deux usurpateurs, il les défait l’un et l’autre, et aussitôt après son second triomphe il quitte la vie;1 invincible dans les combats, il n’est vaincu que par la nature, à laquelle ne peuvent résister ni la vaillance ni le génie. Enseveli dans sa vertu, il vous a laissé2 un empire incontesté : puissent votre propre vertu, et Dieu venant en aide à cette vertu, vous le conserver! Si la protection de Dieu est nécessaire à tous, elle l’est surtout à ceux qui, sans lutte et sans travaux, n’ont eu, comme vous, qu’à recevoir la fortune en héritage. L’homme que Dieu a comblé de ses faveurs, et qui, dès l’âge le plus tendre, a été honoré du titre magnifique de roi, doit accepter toutes les fatigues, renoncer au repos, se refuser le sommeil, s’imposer les soucis, s’il veut être réellement digne du nom de roi. Il est bien vrai, cet ancien proverbe, que ce qui fait la différence entre le roi et le tyran ce n’est point le nombre de leurs sujets, pas plus que le nombre de brebis ne sert à distinguer le berger du boucher, qui pousse devant lui le troupeau pour le dépecer, pour s’en rassasier et en rassasier les autres à prix d’argent.
