CHAPITRE V. LES CHANGEMENTS QUI SE PRODUISENT DANS L’ÂME POURRAIENT ÉTRE INVOQUÉS CONTRE L'IMMORTALITÉ S'ILS AFFECTAIENT LA NATURE MÊME DE L’ÂME. MAIS ILS NE SONT QUE DES CHANGEMENTS ACCIDENTELS. DONC ILS N'EMPÊCHENT PAS L’ÂME D'ÊTRE IMMORTELLE.
7. Examinons maintenant jusqu'à quel point l'on peut admettre un changement dans l'âme. Si l'âme est le sujet de l'art, et si le sujet ne peut éprouver de changement sans que ce qui est en lui ne soit exposé à la même mutabilité; comment pourrons-nous concilier cette immutabilité de l'art et de la science, avec la mutabilité de l'âme où ces choses existent?
Mais quel plus grand changement peut-il y avoir que de passer d'un contraire à l'autre? Et qui pourrait nier, sans parler d'autres changements, que l'âme est tantôt sage, tantôt folle? Voyons donc d'abord de quelle manière il faut admettre ce qu'on appelle le changement dans l'âme.
Or, je le crois, les changements les plus frappants et les plus connus de nous se rapportent à deux genres où l'on peut découvrir plusieurs espèces. En effet, on dit que l'âme éprouve quelque changement, soit selon les impressions du corps, soit selon les siennes propres; selon les impressions du corps, par l'âge, par les maladies, par les douleurs, par les blessures, par les travaux ou par les voluptés; selon les siennes mêmes, par le désir, la joie, la crainte et la tristesse, l'application et l'étude.
8. Si tous ces changements ne sont pas une preuve nécessaire que l'âme soit sujette à la mort, ils ne sont pas à redouter par eux-mêmes; mais il faut voir s'ils ne contrarient pas le principe que nous avons posé, savoir que le sujet changeant, tout ce qui est dans le sujet doit changer nécessairement.
Or, il n'y a pas ici contradiction; car il est ici question du changement qui affecte l'essence même du sujet, et lui ferait perdre son nom. En effet, si la cire passe de la couleur blanche à la couleur noire, elle n'en reste pas moins cire; si pour elle la forme ronde succède à la forme carrée; si de molle elle devient dure; si de chaude elle devient froide, tous ces accidents qui se passent dans le sujet n'empêchent pas qu'il ne reste ni plus ni moins de la cire. Il peut donc exister quelque changement dans les accidents du sujet, quoique celui-ci n'éprouve aucun changement dans son essence et dans son nom. Mais il peut arriver que les propriétés du sujet éprouvent un plus grand changement, et que le sujet lui-même ne puisse désormais être désigné parle même nom; ainsi la cire s'évapore dans les airs sous l'ardente action du feu, elle souffre alors un tel changement que le sujet lui-même a éprouvé une modification essentielle et que la cire n'est plus de la cire; dans ce cas l'on ne peut supposer que ce qui faisait la nature du sujet puisse encore subsister.
9. Si donc l'âme est, comme nous l'avons dit plus haut, le sujet dans lequel réside inséparablement la raison, et cela parce que la raison est nécessairement dans un sujet si l'âme ne peut être que vivante, et si la raison, immortelle de sa nature, ne petit non plus être dans l'âme que vivante; l'âme est immortelle. En effet, cette raison immortelle ne pourrait plus absolument subsister si le sujet dans lequel elle réside cessait d'exister ; ce qui arriverait si ce sujet éprouvait un tel changement qu'il cessât d'être une âme, c'est-à-dire qu'il fût anéanti. Mais aucun des changements qui s'opèrent, soit par le corps, soit par l'âme, quoiqu'on agite fortement la question de savoir s'il en est quelques-uns dont elle soit vraiment la cause, ne fait que l'âme ne soit plus une âme. Ainsi, ces changements ne sont redoutables ni en eux-mêmes, ni pour notre raison.
