CHAPITRE IV.
LA VENUE DE JÉSUS-CHRIST A EU POUR BUT ESSENTIEL D’ÉTABLIR LE RÈGNE DE LA CHARITÉ: C’EST A LA CHARITÉ QUE DOIT TENDRE TOUTE NARRATION EMPRUNTÉE AUX ÉCRITURES SUR JÉSUS-CHRIST.
- Quelle a été la cause principale de la venue de Jésus-Christ, sinon l’amour que Dieu nous portait et qu’il voulait nous témoigner par une preuve éclatante, la mort de Jésus-Christ, dans le temps même que nous étions encore ses ennemis1? Il est venu pour nous montrer que le but du précepte et l’accomplissement de la loi sont tout entiers dans la charité2. Il a voulu nous apprendre à nous aimer les uns les autres et à donner notre vie pour nos frères, comme il a donné la sienne pour nous3: il a voulu qu’en voyant Dieu nous aimer le premier4, et livrer son Fils unique à la mort pour nous tous5, sans l’épargner, l’homme, jusqu’alors insensible, eût honte de ne pas rendre amour pour amour. Rien n’éveille l’amour avec autant de force que de faire les premières avances : l’âme la plus rebelle à ce sentiment ne saurait sans cruauté refuser d’y répondre. C’est là une vérité que font éclater les attachements les plus bas et les plus criminels.
Quand un amant veut faire partager sa passion, il songe à tous les moyens en son pouvoir de déclarer son amour et d’en découvrir les transports: il prend les dehors de la justice, afin d’avoir le droit de réclamer comme une dette la sympathie du coeur qu’il veut séduire; sa passion s’avive et s’enflamme, en voyant troublée du même feu la personne dont il convoite la possession; tant il est vrai que la sympathie fait sortir un coeur froid de son indifférence et redouble l’amour en celui qui déjà en éprouvait les ardeurs! Il est donc bien évident que rien ne contribue davantage à faire naître ou à développer l’amour que l’aveu de ce sentiment, l’espoir qu’il sera partagé, les avances de celui qui l’éprouve le premier. Combien ce caractère de l’amour empreint dans les liaisons les plus criminelles est-il plus sensible dans l’amitié! N’évitons-nous pas avant tout de déplaire à un ami, dans la crainte de lui laisser croire que nous ne l’aimons pas ou que notre amitié est moins vive que la sienne? S’il le croyait, en effet, il mettrait plus de réserve et de froideur dans ces rapports intimes que l’amitié crée entre les hommes; et, quand il ne pousserait pas la faiblesse jusqu’à laisser toute sa sympathie se refroidir à cause de cette offense, il se renfermerait dans une amitié où le calcul supprimerait les épanchements du coeur.
Il est surtout à remarquer que, si les grands veulent être aimés des petits et qu’ils s’y attachent en proportion de leur dévouement et de leur affection, les petits répondent à la sympathie des grands par une ardente amitié. L’amitié, en effet, a d’autant plus d’attrait qu’elle est moins un transport inspiré par la nécessité, qu’un épanchement de la générosité; ici, elle vient de la charité, là, du besoin. Or, supposez un inférieur sans espoir d’obtenir jamais l’amitié de son supérieur : n’éprouverait-il pas un bonheur indicible, s’il voyait celui dont il n’aurait jamais osé attendre un bienfait si précieux, prendre les devants et daigner lui déclarer son amour? Mais peut-il y avoir une disproportion plus étonnante qu’entre Dieu et l’homme, le juge et le coupable? Et quel coupable! il s’était livré à la domination des puissances de l’orgueil, incapables de lui donner le bonheur, et cela, avec d’autant plus d’aveuglement qu’il avait moins compté sur la Providence de l’Etre infini, qui ne veut pas signaler son pouvoir par le mal, mais le faire sentir par le bien.
- Si donc le but essentiel de la venue de Jésus-Christ a été d’apprendre à l’homme la portée de l’amour que Dieu avait pour lui, afin de lui montrer à rendre amour pour amour et à chérir son prochain, en suivant tout ensemble les préceptes et l’exemple de Celui qui s’est rapproché le plus étroitement de notre coeur quand il a embrassé dans son amour non-seulement le prochain, mais les hommes les plus éloignés; si les saints livres écrits avant son avènement n’ont eu d’autre objet que de le prédire, et que tout ce qui a été écrit depuis sous le sceau de l’autorité divine a raconté Jésus-Christ et fait une loi de l’amour; il faut évidemment rattacher à la charité, non-seulement la loi et les prophètes contenus dans le double commandement [64] d’aimer Dieu et le prochain, où se résumait toute l’Ecriture au moment où parlait Notre-Seigneur, et l’ensemble des Ecritures postérieurement composées sous l’inspiration divine et confiées au souvenir des âges.
L’Ancien Testament est le symbole mystérieux du Nouveau; le Nouveau, la révélation éclatante de l’Ancien. Les âmes charnelles qui comprennent matériellement ces symboles, sont aujourd’hui, comme autrefois, esclaves d’une crainte coupable. Dociles à la révélation, les âmes pures qui autrefois ont vu s’ouvrir devant leurs pieuses investigations le sens caché des Ecritures ou qui aujourd’hui le cherchent sans orgueil, de peur que le côté lumineux ne se change pour elles en ténèbres, ont compris selon l’esprit et ont été affranchies parle don de la charité. Or, l’envie est l’ennemie mortelle de la charité, l’orgueil, le principe de l’envie. Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’Homme-Dieu, est donc tout ensemble et la révélation de l’amour de Dieu pour les hommes et le modèle de l’humilité ici-bas, afin de guérir notre orgueil démesuré par un remède plus puissant encore. Quelle misère profonde que l’homme orgueilleux! mais quelle miséricorde plus profonde encore qu’un Dieu humble ! Que la charité soit donc le principe auquel se rattachent tous tes discours; dans toutes tes instructions, fais en sorte que l’auditeur croie ce qu’il écoute, espère ce qu’il croit, et aime ce qu’il espère.
