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« La maison, »ajoute le prophète, «fut remplie de fumée. » Dieu, comme nous avons dit, est un feu ; et lorsqu'il descendit sur la montagne de Sina, l'on vit comme des lampes ardentes qui brillaient de toutes parts, et la montagne fut toute couverte de fumée, ce qui fait dire au roi-prophète : « Lorsque le Seigneur touche seulement les montagnes, il en fait sortir les flammes et la fumée. » Ainsi, comme Dieu est au-dessus de la portée de notre esprit, et que nous ne saurions comprendre quelle est la nature de ce feu divin, nous en voyons seulement sortir une légère fumée qui se répand par toute la terre, et qui nous oblige de dire avec l'Apôtre: « Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très imparfait; » et derechef : « Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et en des énigmes; » et avec Isaïe : « Les Séraphins étaient autour de lui, et ils avaient chacun six ailes. »
Un auteur grec fort versé dans la science des saintes Ecritures, expliquant cet endroit du prophète Isaïe, dit que les Séraphins sont des esprits célestes toujours occupés à chanter les louanges de Dieu au pied de son trône, et employés à différents ministères, mais particulièrement à purifier ceux qu'une vie passée dans le crime a rendus impurs et dignes de supplices. Il ajoute que « le linteau renversé et la fumée qui remplit toute la maison » sont une figure prophétique de la destruction du temple des Juifs et de l'embrasement de la ville de Jérusalem, que nous voyons aujourd'hui ensevelie sous ses propres ruines. Quelques-uns approuvent cette opinion quant à la première partie, mais la seconde n'est point de leur goùt; car ils prétendent que le linteau n'a été renversé que lorsque le voile du temple s'est déchiré en deux, que l'erreur a répandu sur toute la maison d'Israël d'épaisses ténèbres, et que les prêtres, comme le rapporte Joseph, ont entendu sortir du fond du temple la voix des Vertus célestes qui disaient : « Sortons d'ici. »
Un certain Juif à qui j'ai l'obligation de m'avoir appris bien des choses, et qui sait l'hébreu si parfaitement qu'il passe pour Chaldéen parmi les docteurs de la loi, est sur cela d'un sentiment bien différent; car il dit qu'Isaïe est le seul de tous les prophètes qui ait vu les Séraphins « debout autour du trône de Dieu, » et même qu'il n'y a aucun autre endroit dans l'Ecriture où il soit parlé de Séraphins. Il ajoute que cette vision était une prophétie de la captivité des Juifs et de la ruine de Jérusalem à leur arrivée sous l'empire de Nabuchodonosor, parce que depuis Ozias, sous le règne duquel Isaïe a commencé à prophétiser, jusqu'à Sédécias, qui est le dernier des rots de Judée et qui fut mené captif en Babylone après avoir eu les yeux crevés, il y a eu onze rois à Jérusalem, auxquels succéda Godolias, que le roi de Babylone éleva sur le trône de Juda, et qui extermina les restes de sa nation en faisant mourir au milieu d'un festin Ismaël, fils de Nathanaël ; que les douze ailes des Séraphins, dont quatre, selon quelques auteurs, leur servaient à voiler leurs faces, quatre à voiler leurs pieds, et quatre à voler , étaient la figure de ces douze rois, dont quatre seulement avaient été justes , savoir Ozias, Joathan, Ezéchias et Josias, qui, élevés par leur vertu au-dessus des craintes humaines, n'avaient pas appréhendé, au milieu même de la captivité, de glorifier Dieu en disant hautement: « Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées; » que des huit autres rois, les uns avaient voilé leur face, comme pour couvrir l'énormité de leurs crimes, et les autres leurs pieds, pour cacher la honte de leur captivité. Quant au linteau renversé et à la fumée qui remplit toute la maison, il l’explique,comme nous l'avons aussi remarqué, de l'embrasement du temple et de la ruine de Jérusalem.
