CHAPITRE IV. Sainte Fabiola va en diverses provinces pour y faire des charités, et passe jusqu'en Jérusalem, où elle demeura quelque temps avec saint Jérôme.
Elle courait par toutes les îles et par toute la mer de Toscane ; elle visitait toute la province des Volsques, et faisait ressentir les effets de sa libéralité aux monastères bâtis sur les rivages les plus reculés, qu'elle visitait tous elle-même, ou y envoyait des personnes saintes et fidèles; et elle craignait si peu le travail qu'elle passa en fort peu de temps, et contre l'opinion de tout le monde, jusqu'en Jérusalem, où plusieurs personnes ayant été au-devant d'elle, elle voulut bien demeurer un peu chez nous; et quand je me souviens des entretiens que nous eûmes, il me semble que je l'y vois encore. Bon Dieu ! quelle était sa ferveur et son attention pour l'Ecriture sainte! Elle courait les Prophètes, les Evangiles et les Psaumes comme si elle eût voulu rassasier une faim violente ; elle me proposait des difficultés et conservait dans son coeur les réponses que j'y faisais; elle n'était jamais lasse d'apprendre, et la douleur de ses péchés s'augmentait à proportion de ce qu'elle augmentait en connaissance ; car, comme si l'on eût jeté de l'huile dans un feu, elle ressentait des mouvements d'une ferveur encore plus grande. Un jour, lisant le livre des Nombres, elle me demanda avec modestie et humilité que voulait dire cette grande multitude de noms ramassés ensemble; pourquoi chaque tribu était jointe diversement à d'autres en divers lieux ; et comment il se pouvait faire que Balaam, qui n'était qu'un devin, eût prophétisé de telle sorte les mystères qui regardent Jésus-Christ que presque nul des prophètes n'en a parlé si clairement. Je lui répondis comme je pus, et il me sembla qu'elle en demeura satisfaite. Reprenant le livre, et étant arrivés en l'endroit où est fait le dénombrement de tous les campements du peuple d'Israël depuis sa sortie d'Egypte jusqu'au fleuve du Jourdain, comme elle me demandait les raisons de chaque chose, je lui répondis sur-le-champ à quelques-unes, j'hésitai en d'autres, et il y en eut où j'avouai tout simplement mon ignorance; mais elle me pressa alors encore plus de l'éclaircir sur ses doutes, et, comme s'il ne m'était pas permis d'ignorer ce que j'ignore, elle m'en priait avec instance, disant toutefois qu'elle était indigne de comprendre de si grands mystères. Enfin elle me contraignit d'avoir honte de la refuser, et m'engagea à lui promettre un traité particulier sur cette petite dispute ; ce que je reconnais n'avoir différé jusque ici, par la volonté de Dieu, que pour rendre ce devoir à sa mémoire, afin que, maintenant qu'elle est revêtue de ces habits sacerdotaux dont il est parlé au Lévitique, elle ressente la joie d'être arrivée à la terre promise après avoir traversé avec tant de peines la solitude de ce monde, qui n'est rempli que de misères.
