2.
D'abord il faut qu'un clerc qui s'est consacré au service de l'Église sache l'étymologie de son nom, afin qu'en connaissant sa dignité il tâche d'y répondre par sa vie. Le mot grec pleros signifie: sort ou partage; le nom de clerc en dérive, parce que les clercs sont le partage de Dieu ou parce que Dieu est leur partage. Or celui qui est partage doit se rendre digne de posséder ou d'être possédé : de là vient que quand un homme possède le Seigneur et qu'il dit avec David : «Le Seigneur est mon partage, » il ne peut posséder que lui, et s'il retient quelque autre chose en sa possession le Seigneur ne peut être son partage. Si j'ai de l'or, de l'argent, des biens et des meubles précieux, je ne puis être le partage du Sauveur; mais si je veux l'être véritablement je ne serai point du nombre des autres tribus, je vivrai des dîmes en prêtre et en lévite; servant à l'autel, je recevrai les offrandes qui y seront présentées ; je me contenterai d'avoir de quoi me vêtir et de quoi me nourrir, et je me dépouillerai de tout pour suivre Jésus-Christ attaché nu à la croix. Croyez donc qu'il n'en est pas de la condition d'un clerc comme de celle des anciens soldats , c'est-à-dire qu'on ne doit pas chercher son intérêt sous l'étendard du Fils de Dieu, et qu'on ne doit pas devenir plus riche qu'on était quand on a commencé à le suivre. On voit des solitaires plus opulents dans le désert qu'ils n'étaient dans le monde; on voit des clercs qui ont embrassé la pauvreté de Jésus-Christ, et qui cependant ont plus de richesses que quand ils vivaient dans le siècle sous les lois du démon ; de sorte que l'Église, en soupirant, voit dans l'abondance des gens que le monde avait vus dans la mendicité. Que votre table soit frugale et que les pauvres et les pèlerins y trouvent place en la compagnie de Jésus-Christ. Fuyez comme un pestiféré un ecclésiastique qui se mêle d'affaires, qui de pauvre est devenu riche, et qui fait le vain quoiqu'il soit sans naissance : les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. Si vous méprisez l'or et les richesses, un autre les aimera; si le silence et la retraite vous plaisent, le bruit, l'embarras, les assemblées publiques plairont à un autre : quelle union peut-on attendre de cette grande diversité d'humeurs? Que les femmes viennent peu chez vous, ou, s'il se peut faire, point du tout ; ne connaissez aucune fille, ou, si vous en connaissez quelques-unes, aimez-les toutes également ; ne demeurez point avec elles dans la même maison, vous fiant à une vertu qui a déjà été mise à l'épreuve ; car vous n'êtes pas plus saint que David, plus fort que Samson ni plus sage que Salomon. Souvenez-vous qu'une femme l'ut cause qu'Adam fut chassé du paradis terrestre. Si vous tombez malade faites-vous assister par quelqu'un de vos frères, par votre sœur, votre mère, ou quelque autre femme dont la vertu et la probité soient connues; si vous êtes éloigné de votre famille, ou que vous n'y trouviez pas une personne telle que je la dépeins, servez-vous de quelque une de ces vieilles femmes que les églises nourrissent : elle sera bien aise de gagner quelque chose en vous servant, et votre maladie vous fera naître l'occasion de faire l'aumône. J'en connais plusieurs qui, se guérissant des infirmités corporelles, sont tombés dans une maladie d'esprit ; en un mot, celle que l'on considère avec trop d'attachement vous expose au danger en vous servant. Si votre devoir vous oblige à rendre visite à une veuve, à une fille, n'entrez point chez elle seul, et que la compagnie de celui qui vous y suivra ne vous donne point de confusion : s'il est acolyte, lecteur ou chantre, qu'il soit plus paré de ses vertus que de ses habits, que ses cheveux ne soient point frisés, enfin que l'extérieur fasse connaître la pureté du dedans. Ne parlez jamais seul à une femme seule . si vous avez quelque chose de particulier à lui dire, il y aura chez elle une fille, une veuve ou une femme mariée; car il ne serait pas possible qu'il n'y eût que vous au monde en qui elle pût avoir de la confiance. Evitez ce qui peut faire naître le soupçon, et prenez garde que l'on n'interprète à votre désavantage ce que l'on peut imaginer avec fondement : une amitié honnête ne sait ce que c'est que recevoir des mouchoirs, des rubans et des lettres d'amour, et manger des viandes qu'une femme aura touchées. Si l'on rougit d'entendre dans une comédie des termes d'amour et s'ils sont insupportables en la bouche d'une personne du monde, comment les souffrirait-on dans la bouche d'un solitaire ou d'un ecclésiastique, dont la condition est relevée par le sacerdoce comme le sacerdoce semble être relevé par la sainteté de sa vie? Ce n'est pas que je craigne que des personnes vertueuses telles que vous tombent dans ces désordres; mais dans toutes les conditions de la vie il se trouve des bons et des méchants, et la condamnation de ceux-ci sert d'éloge aux autres. C'est une chose qu'on ne peut voir sans confusion, que les prêtres païens, les comédiens et d'autres gens semblables puissent, être institués héritiers , et qu'il v ait des lois qui défendent que les ecclésiastiques et les religieux ne le soient, surtout quand ces lois n'ont pas été faites par des tyrans, mais par des princes chrétiens; et l'on ne doit point se plaindre de leur sévérité, mais regretter plutôt les circonstances qui les ont obligés à en user. Ces lois sont assez rigides et ont été établies sagement; cependant elles ne remédient point à l'avarice: on y contrevient par le moyen des fidéi-commis, car on redoute moins l'Evangile que les ordonnances de l'empereur, comme si elles étaient au-dessus. Si la gloire d'un évêque consiste à pourvoir à la nécessité des pauvres, un prêtre se rend infâme en travaillant à devenir riche. Il y a des prêtres qui, nés et élevés dans l'indigence, sont aujourd'hui dégoûtés des mets les plus délicieux. Ils savent les noms et les différentes espèces des poissons, en quelle mer se pêchent les bonnes huîtres ; au goût du gibier ils connaissent d'où il vient, ne l'aiment que pour sa rareté, et savent s'en priver quelquefois pour le trouver ensuite plus agréable. Il court aussi un bruit qu'il y en a quelques-uns qui s'attachent à des vieillards sans enfants, auprès de qui ils font des bassesses inouïes : ils assiègent leur lit, ils leur préparent le linge, ils tremblent à l'arrivée du médecin, et, s'informant si le malade est mieux, s'ils apprennent qu'il y a quelque amélioration ils feignent d'en être bien aises, quoique l'avarice les dévore en secret et qu'ils disent que le vieillard est un autre Mathusalem. Certes ils auraient plus de récompense de tant de services en l'autre monde s'ils n'en attendaient point en celui-ci. Avec quels soins achètent-ils une petite succession ? la pierre précieuse du Sauveur se peut acquérir avec beaucoup moins de peine. Lisez souvent l'Ecriture sainte, ou,pour mieux dire, ayez la toujours entre les mains. Apprenez-la pour instruire : puisez-y un discours fidèle et conforme a ses maximes, afin d'enseigner une doctrine orthodoxe et de confondre ceux qui seront d'un sentiment contraire. Soyez attaché à ce que vous avez appris et à ce qui vous a été confié. vous souvenant du maître qui vous a instruit, et étant prêt à répondre à celui qui vous interrogera de l'espérance et de la foi qui est en vous. Que vos actions soient conformes à vos paroles, et quand vous parlerez dans l'église, que l'on lie dise point eu soi-même : « que ne pratique-t-il ce qu'il enseigne? » On écouterait peu celui qui, après avoir bien dîné, enseignerait il jeûner, car un larron même blâme l'avarice. La bouche, les mains et l'esprit d'un prêtre doivent agir ensemble de concert.
