3.
Mais, assez de lamentations, assez, dis-je, pour l'étendue de cet écrit; pour déplorer comme il convient le sort d'une âme accablée de tant de malheurs une vie tout entière ne suffirait pas. Que faudrait-il déplorer avant tout? Est-ce le vénérable, le saint, le grand nom de Dieu blasphémé à cause de vous au milieu des nations et sa gloire profanée? Est-ce une profession, par elle-même si vénérable et si grande, calomniée? Est-ce le malheur de tant d'âmes perdues par vos scandales? La gloire de votre saint ordre, honteusement ternie? Le feu inextinguible réservé à vous et à ceux qui habitent avec vous? Toutes ces menaces, dira-t-on, sont vaines, puisque nous pouvons prouver que notre corps n'est ni altéré, ni souillé. Nous saurons ce qu'il en est au grand jour des manifestations. La sage-femme, en effet, peut bien, par son art et sa science, voir si le commerce avec un homme a détruit l'intégrité de votre corps; mais avez-vous évité les attouchements déshonnêtes ? l'adultère, ne l'avez-vous pas commis par les baisers et les embrassements? Avez-vous évité toute souillure ? c'est ce que manifestera ce grand jour, lorsque le Verbe vivant de Dieu, qui dévoile les pensées cachées de l'homme et qui voit ce qui se passe dans le secret, placera toutes choses sous les yeux du monde entier à nu et à découvert; alors nous saurons si vous avez conservé votre corps parfaitement pur et intact.
Pourtant, ne soyons pas si minutieux et ne disputons pas; admettons que, triomphant de tous les pièges du démon, le corps soit resté pur et n'ait subi aucune flétrissure et que, vierge, vous soyiez restée vierge. En quoi cela affaiblit-il la force de nos paroles? En rien, et c'est là le plus grand de vos malheurs, celui qui mérite le plus d'être pleuré. Voilà donc à quoi viennent aboutir tant de combats livrés, tant de précautions prises contre le dernier degré de séduction; à faire blasphémer le nom de. Jésus Christ ! vos résistances ont sauvé l'honneur de votre chair, ont-elles sauvé l'honneur du christianisme? Tous vos efforts n'ont eu pour but que de préserver votre corps, et vous n'avez pris aucune peine pour épargner à Dieu les outrages et les dédains des hommes. Je voudrais que vous eussiez un peu moins travaillé à ternir la gloire de votre Dieu. Et comment l'ai-je ternie? répondez-vous : je vous l'ai déjà dit : en recevant des hommes dans votre maison, en vivant familièrement avec eux. Si vous désiriez la société des hommes, il ne fallait pas embrasser la virginité, mais vivre dans le mariage; il eût mieux valu vous marier que de vous dire vierge, en vivant comme vous faites.
En effet, Dieu ne condamne pas le mariage et les hommes l'estiment; c'est une union honnête, qui n'offense personne, ne blesse personne; tandis que la virginité qui ne sait pas se passer de la société des hommes, se fait réprouver de tout le monde, perd son rang et sa dignité propre, et tombe plus bas que la prostitution même. On ne saurait compter au nombre des vierges celle qui ne s'occupe pas des choses de Dieu et qui rend beaucoup d'hommes adultères; on ne la mettrait pas non plus au nombre des femmes mariées. L'épouse n'a le souci de plaire qu'à un seul homme; vous, c'est à une foule d'hommes que vous voulez être agréable, et cela sans qu'un mariage légitime vous unisse publiquement à aucun : ce qui existe entre eux et vous, c'est je ne sais quel lien honteux, cause de scandale pour tous ; et objet de la réprobation générale. C'est pourquoi je crains que, n'ayant la dignité ni de la vierge ni de l'épouse, vous ne soyez réduite à l'état humiliant des femmes dont le déshonneur est public. Si quelqu'un voulait juger de l'état dans lequel vous vivez parle nom qu'il porte dans le monde, vous ne pourriez rien répondre. Toutes les fois que vous paraissez en public, toutes les fois qu'en particulier on s'entretient de ces absurdes liaisons, quel nom donne-t-on à la femme? On ne dit pas, c'est la mère d'un tel ; car elle ne l'a pas enfanté: ni, c'est sa sueur; les mêmes entrailles ne les ont pas portés : ni, c'est son épouse; la loi du mariage n'a pas sanctionné leur union. En un mot, aucun des noms de parenté écrits dans la loi et autorisés par elle ne convient à cette singulière union. Il ne reste plus qu'une appellation honteuse et méprisante que je ne voudrais pas prononcer, tant je l'ai en horreur, tant je la repousse : je préfère encore la dénomination de cohabitation.
Mais, direz-vous, je ne suis pas devenue mère, je n'ai pas connu les douleurs de l'enfantement? Quoi de plus misérable que cette défense? et quoi de plus honteux que de vouloir se donner comme vierge en recourant à des preuves que pourraient employer des femmes de mauvaise vie? Mais ces femmes , répliquez-vous, on peut, par d'autres indices les convaincre de leur commerce infâme. Quels indices; dites-moi? sont-ce leurs vêtements, leurs regards, leur démarche, les amants qu'elles attirent? Voilà bien, je l'avoue, les marques d'une prostituée. Mais, prenez bien garde qu'on ne vous reconnaisse d'abord vous-même dans le portrait que vous venez de tracer. Ne vous voit-on pas vous aussi, entourée d'une foule d'adorateurs, que vous séduisez par les mêmes appâts, que vous prenez dans les mêmes filets? Vous n'appelez pas les passants dans votre maison, soit, mais, ce qui est bien plus grave, vous tenez vos amants toujours renfermés chez vous, et cela pour une seule raison, pour je ne sais quelle satisfaction que vous goûtez l'un et l'autre à demeurer ensemble. Je ne parle pas de l'union charnelle, puisque vous n'allez pas jusque-là; mais qu'importe, si vous commettez le même péché par le commerce des .regards. S'il n'en n'était pas ainsi et si vous ne commettiez pas l'adultère par le regard, pourquoi garder cet homme dans votre maison? Quel motif légitime, raisonnable, pourrez-vous alléguer ? Une épouse dira : « le mariage; » une prostituée : « le libertinage; » mais vous, vierge, quelle cause juste et digne d'être mise en avant pourrez-vous alléguer?
