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Mais, abandonnons le champ des conjectures et' des suppositions, et analysons les faits. La virginité l'emporte sur le mariage, et la viduité sur les secondes noces. La veuve, d'abord inférieure à la vierge, s'en rapproche ensuite, et devient son émule; mais, si elle se remarie, elle s'éloigne d'un nouveau degré du mérite de la virginité. La première, qui supporte facilement les peines de la viduité, nous prouve que, même dans l'état du mariage, elle aimait et pratiquait la continence; et la seconde, qui regarde cette vertu comme trop onéreuse, nous autorise, presque à penser qu'elle est toute disposée à convoler, selon les circonstances, à de troisièmes et même à ,de quatrièmes noces, et, que les glaces de la vieillesse modéreront seules les feux de sa passion. Un premier mariage est une preuve d'honnêteté et de chasteté; . un second dénote un certain esprit, je ne dirai pas d'incontinence, à Dieu ne plaise, mais de faiblesse et de sensualité; en sorte que l'âme tout attachée à la chair et à la terre, ne peut prendre aucune résolution grande et généreuse.
Vous m'objecterez peut-être que le mariage étant honnête en lui-même, ne cesse point de l'être quoiqu'il soit plusieurs fois réitéré; et vous en conclurez qu'il est plus louable de le contracter souvent que de s'en tenir à un premier engagement. Ce sophisme peut éblouir quelques esprits légers, mais il suffit d'un peu de réflexion pour en découvrir toute la fausseté. L'essence du mariage réside bien moins dans l'union de la chair, union que présente même l'adultère, que dans la ferme résolution où est la femme de n'avoir qu'un seul mari. C'est cette résolution qui sépare si profondément l'épouse chaste et pudique de l'effrontée courtisane. Laveuve, qui demeure fidèle à son premier engagement, montre qu'elle a réellement compris toute la sainteté du mariage; celle, au contraire, qui, successivement, introduit plusieurs maris dans sa maison, fait preuve, je ne dirai pas d'incontinence, mais d'une légèreté de caractère qui la place dans un rang bien inférieur. Et, en effet, la veuve qui ne veut point connaître un second époux, n'a pas oublié cette parole du Seigneur : L'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme; et ils seront deux dans une même chair. (Matth. XIX, 5.) C'est pourquoi elle persiste à rester unie à son premier mari, comme à sa propre chair, et à respecter la mémoire de celui qui fut son premier chef. Mais la veuve qui se remarie ne peut considérer comme sa propre chair, ni son premier, ni son second époux; le premier, dépossédé par le second, le dépossède à son tour. Elle ne saurait conserver un religieux souvenir de son premier mari, quand nous la voyons en prendre un second, ni donner à ce dernier toute son affection, puisque le premier en conserve une partie. Ni l'un ni l'autre n'obtient d'elle l'honneur et l’amour qu'une femme doit à son époux.
Et maintenant, quelles sont les pensées de ce second époux quand il entre sous le toit conjugal, et qu'il voit les ris et l'allégresse dont son épouse: salue sa présence? Il ne saurait lui-même l'accueillir avec un grand amour; son coeur doit être vivement troublé. Fût-il le plus dur des hommes, il est impossible qu'il ne soit pas ému; il le sera, s'il est encore homme. Malgré tous les soins de l'épouse pour parer et orner sa maison, elle ne peut effacer tous les souvenirs du deuil qui l'a frappée; souvenirs qui ne peuvent manquer d'assombrir la fête de leurs ombres lugubres. Nous voyons qu'un mur noirci par le feu conserve, sous le badigeon dont on le recouvre, des traces profondes de l'incendie, en sorte qu'il reste toujours comme à demi-blanc, et ne plaît jamais à l'oeil. C'est ainsi qu'au milieu de toute cette magnificence percent le deuil et la tristesse, et que ce mélange inévitable attriste tous les -coeurs. Tous ceux qui ont eu des rapports avec le premier époux, esclaves, serviteurs, fermiers, amis et voisins, s'affligent et gémissent. Le premier époux a-t-il laissé des enfants encore jeunes, leur seule vue irrite contre la mère les gens sensés et judicieux : et si ces enfants sont en âge de sentir leur malheur, la douleur générale s'en augmente. N'est-ce point à cause de ces conséquences fâcheuses que les législateurs ont prescrit que les secondes noces se feraient sans pompe et sans appareil? Ils ont voulu ainsi consoler ceux qu'elles affligent, et prouver qu'ils ne les permettent qu'à regret, et seulement par crainte de plus graves désordres. Ils ont donc interdit tout ce qui eût pu faire ressembler ce jour à une brillante fête : la musique, les chants, les choeurs de danse, les acclamations, et même la couronne nuptiale; en sorte que l'époux doit se présenter sans cet ornement et ce signe de joie. N'est-ce point proclamer hautement que si les lois tolèrent les secondes noces, elles les jugent indignes de tout honneur et de toute louange?
