V.
Mais il faut aussi se garder de celui que l'on peut voir, de quiconque irrite, de quiconque excite, de quiconque exaspère, de quiconque suggère des incitations à la luxure ou à la convoitise. Quand donc quelqu'un nous insulte, nous harcèle, nous provoque à la violence, nous invite à une querelle, alors pratiquons le silence, alors ne rougissons pas de devenir muets. C'est un pécheur en effet celui qui nous provoque, qui nous fait injure et désire que nous devenions semblables à lui.
Enfin si tu te tais, si tu ne fais pas attention, il a coutume de dire : « Pourquoi te tais-tu ? Parle si tu l'oses ; mais tu n'oses pas, tu es muet, je t'ai coupé la langue. » Si donc tu te tais, il éclate plus encore : il se croit vaincu, moqué, mésestimé et joué. Mais si tu réponds, il se juge grandi parce qu'il a trouvé son pareil. Si en effet tu te tais, on dira : « Celui-là a insulté celui-ci, le second n'en a pas fait de cas. » Tandis que si tu rends l'outrage, on dira : « Les deux se sont insultés. » L'un et l'autre est condamné, personne n'est absous. Le souci du premier est donc d'irriter pour que je lui tienne de semblables propos, que je fasse de semblables actions ; tandis qu'il appartient au juste de ne pas faire attention, de ne rien dire, de conserver le bénéfice d'une bonne conscience, d'accorder plus au jugement des gens de bien qu'à l'arrogance d'un calomniateur, de se satisfaire du sérieux de sa conduite. C'est cela en effet « faire silence sur ses bonnes actions », parce que celui qui a bonne conscience de soi ne doit pas être ému par des mensonges et ne pas attribuer plus d'importance à l'insulte d'autrui qu'à son propre témoignage.
II arrive dans ces conditions qu'il sauvegarde aussi l'humilité. Mais s'il ne veut pas être suffisamment humble, il agite et exprime à part soi de telles pensées : « Ainsi donc, comment celui-ci me mépriserait-il et tiendrait-il, à ma face, de tels propos contre moi, comme si je ne pouvais, moi, à son adresse, ouvrir la bouche ? Pourquoi, moi aussi, ne dirais-je pas ce qui me permet-trait de le blesser ? Ainsi donc comment celui-ci me ferait-il tort, comme si je n'étais pas un homme, comme si je ne pouvais me venger ? Comment celui-ci me calom-nierait-il, comme si moi, je ne pouvais rassembler sur lui des accusations plus graves ? »
Celui qui dit de telles choses, n'est pas « doux et humble », il n'est pas exempt de tentation. Le tentateur l'excite et, en personne, lui suggère de telles idées. Très souvent, l'esprit du mal utilise un homme et l'aposte, pour dire ces choses au premier ; mais toi, maintiens ton pied fixé sur la pierre. Même si c'est un esclave qui dit une insulte, le juste se tait ; même si c'est un faible qui lance un outrage, le juste se tait ; même si c'est un pauvre qui calomnie, le juste ne répond pas. Telles sont les armes du juste : il vainc en se retirant ; de même que les soldats habiles au lancement du javelot ont l'habitude de vaincre en se retirant et, à la faveur de leur fuite, d'infliger au poursuivant des coups plus sévères.
