CHAPITRE III. AUGUSTIN, VICTIME AUTREFOIS DU MANICHÉISME.
3. Pour moi, puis-je oublier que si j'ai pu enfin contempler la vérité dans toute sa pureté et sans aucune forme mensongère et trompeuse, ce n'est qu'après avoir été ballotté longtemps par les flots de l'erreur; que ce n'est qu'après bien des efforts et avec le secours de Dieu que j'ai pu dissiper dans mon esprit ces vains fantômes qu'y avaient entassés mille opinions, mille erreurs diverses; qu'avant de chasser les profondes ténèbres de mon intelligence, j'ai lutté longtemps contre l'appel et les douces prévenances du céleste médecin ; que pendant de longs jours il m'a fallu verser bien des larmes amères, avant que là substance immuable et pure eût daigné se révéler à moi dans l'éclat des livres saints? puis-je oublier enfin, que ces erreurs qui ont rivé sur vous les lourdes chaînes de l'habitude, je les ai recherchées avec avidité, écoutées avec attention, crues témérairement, prêchées avec ardeur, et défendues avec acharnement et obstination? Oh ! non, je ne puis sévir contre vous; puisque d'autres m'ont supporté alors, je dois vous supporter aussi; je dois user de la même patience envers vous, qu'en usèrent envers moi mes amis et mes proches, alors que je m'étais fait le partisan forcené et aveugle de vos tristes erreurs.
4. Afin d'adoucir plus facilement nos rapports mutuels, pour que vous ne m'opposiez aucune intention, à la fois hostile pour moi et pernicieuse pour vous, je vais jusqu'à vous conjurer de nommer vous-mêmes un arbitre pour déclarer si des deux côtés on a réellement déposé tout sentiment d'arrogance et d'orgueil. Ni les uns ni les autres ne nous flattons d'avoir trouvé la vérité; au contraire, cherchons-la comme si elle n'était connue d'aucun d'entre nous. Car ce n'est qu'à la condition que personne ne se flattera de la téméraire prétention d'avoir trouvé et connu la vérité, que nous pourrons apporter du zèle et de l'harmonie dans nos recherches. Et si je ne puis obtenir de vous cette faveur, accordez-moi du moins de vous écouter et de vous répondre comme si vous étiez pour moi des inconnus. Je crois cette demande très-légitime ; serait-il équitable, en effet, que je fusse réduit à prier avec vous, à prendre part à vos assemblées, à porter le nom de Manichéen, avant que vous ne m'eussiez parfaitement éclairé sur tous les points qui intéressent si vivement le salut de mon âme ?
