III.
Parce que vous me voyiez entouré d'une certaine réputation d'éloquence, vous avez jugé à propos, je crois, pour refroidir le zèle du lecteur ou de l'auditeur, d'incriminer l'éloquence elle-même ; par ce moyen, vous espériez que ce lecteur ou cet auditeur prévenu contre moi, à cause de mon éloquence, loin d'accueillir mes paroles, n'éprouverait plus pour elles qu'une profonde défiance et presque de l'horreur. Une telle conduite, de votre part, ne doit-elle pas être assimilée « à cet art mauvais dont les sages ont dit », d'après Platon, « qu'il fallait le mettre en dehors de la cité et du genre humain tout entier? » Or, autant je désire l'éloquence pour reproduire mes pensées et mes sentiments, autant je repousse cet art mauvais qui est à une distance infinie de la véritable éloquence et qui, non point par conviction, mais par esprit de chicane et d'intérêt, se propose de parler pour tous et contre tout. A ceux qui ont embrassé cette profession sophistique et perverse s'applique cette parole de l'Ecriture : « Celui qui parle en sophiste est digne de la haine la plus profonde1 ». C'est contre ce défaut que l'apôtre saint Paul met en garde la jeunesse de Timothée, quand il lui dit : «Abstenez-vous de chicaner sur les paroles; car un tel système, loin d'être utile, ne fait que perdre les auditeurs». Craignant aussitôt qu'on ne l'accusât de condamner la véritable éloquence, l'Apôtre ajoute aussitôt: « Faites en sorte de vous rendre un ouvrier à toute épreuve, supérieur à toute crainte humaine et traitant dignement le langage de la vérité2 ». Ce double jeu de nous présenter comme des hommes éloquents et de blâmer l'éloquence, à quel autre sentiment puis-je l'attribuer, sinon à l'esprit de contradiction et au désir d'indisposer contre nous tout homme qui voudrait s'instruire? Quant à supposer que vous agissez ainsi par conviction, comment ne pas m'y refuser quand je sais' avec quel enthousiasme vous exaltez l'éloquence de Donat, de Parménien et de quelques autres Donatistes ? Et en effet, de quelle utilité ne serait pas cette éloquence, si elle ne se déversait, en flots si abondants, que pour la paix de Jésus-Christ, pour l'unité, pour la vérité, pour la charité ? Mais pourquoi parler des autres ? Ne prouvez-vous pas vous-même que ce n'est pas par conviction, mais par esprit d'opposition que vous vous attaquezà l'éloquence ? Cette même éloquence dont vous vous faites ici l'ennemi, n'est-ce pas à elle que vous empruntez les moyens de faire accepter vos autres ouvrages ?
