CHAPITRE II. CE QU'EST LE PÉCHÉ.
1er Raisonnement.
« Avant tout », dit-il, «celui qui soutient que l'homme ne saurait être sans péché doit nous dire ce qu'est le péché, s'il peut être évité ou s'il ne peut pas l'être. S'il ne peut être évité, ce n'est plus un péché, et s'il peut être évité, l'homme peut être sans péché, puisqu'il peut l'éviter. Ni la raison ni la justice ne sauraient ad mettre que ce qui ne peut être évité soit un péché ». Je réponds que le péché peut être évité si la nature viciée a reçu sa guérison de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Elle a d'autant plus besoin de guérison que devant ce qu'elle doit faire elle est ou bien frappée d'un plus grand aveuglement, ou bien réduite à une impuissance plus ou moins prononcée; car c'est en nous que se réalise cette parole de l'Apôtre : « La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, en sorte que l'homme ne fait pas ce qu'il veut1 ».
2e Raisonnement.
«Demandons également », dit-il, « si le péché est l'oeuvre de la volonté «ou de la nécessité. S'il est l'oeuvre de la nécessité, ce n'est plus un péché, et si c'est l'oeuvre de la volonté, il peut être évité ». Nous faisons la même réponse que précédemment; et pour obtenir notre guérison, invoquons Celui à qui il est dit dans le psaume : « Délivrez-moi des maux. qui m'accablent2 ».
3e Raisonnement.
« Demandons ce qu'est le péché, s'il nous est naturel ou simplement accidentel. S'il est naturel, ce n'est a pas un péché, et s'il est accidentel, il peut disparaître ; ce qui peut disparaître peut être évité, et si on peut l'éviter, on peut être sans lui ». Je réponds que le péché ne nous est point naturel; il est le fruit de la nature sans doute, mais de la nature viciée qui nous a rendus enfants de colère3 et qui a tellement affaibli notre libre arbitre en face du péché, que nous avons besoin d'être aidés et guéris par la grâce de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur.
4e Raisonnement.
« Demandons ce qu'est le péché : est-ce un acte, est-ce une chose? Si c'est une chose, il a nécessairement un auteur, et s'il a un auteur, Dieu cesse d'être l'auteur unique de toutes choses, puisque le péché ne saurait être l'oeuvre de Dieu. Et puisque cette proposition serait une grossière impiété, il faut en conclure nécessairement que le péché est un acte et non point une chose. Donc, le péché est un acte, et précisément parce qu'il est un acte, il peut être évité ». Je réponds que le péché est un acte et non point une chose. Il en est de même de la claudication dans un corps : elle est un acte et non point une chose; ce qui est une chose c'est le pied, c'est le corps, c'est l'homme lui-même ; or, cet homme boîte parce que son pied est malade, et pourtant l'homme ne peut échapper à la claudication qu'autant qu'il a le pied sain.
C'est là aussi ce qui peut se faire dans l'homme intérieur, mais en vertu de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Le vice qui fait boiter l'homme n'est ni le pied, ni le corps, ni l’homme, mais la claudication elle-même; cette claudication ne se fait pas sentir quand l'homme ne marche pas, et, cependant, elle n'en est pas moins un vice permanent qui fait boiter l'homme quand il marche. Eh bien ! que l'auteur cherche quel nom il doit donner à ce vice: est-ce une . chose, est-ce un acte; n'est-ce pas plutôt une qualité mauvaise qui rend tel acte difforme ? De même, dans l'homme intérieur, l'esprit est une chose, l'avarice est un vice, c'est-à-dire une qualité qui rend l'esprit mauvais, même lorsqu'il ne fait rien qui ait rapport à l'avarice, même quand il écoute cette parole : « Vous ne convoiterez pas4 », même lorsqu'il se blâme ; dans tous ces cas et autres semblables, il reste avare. Vienne la foi, et par elle il se renouvelle, c'est-à-dire il se guérit de jour en jour5, mais jamais sans la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur.
