CHAPITRE IV. DE QUELLE MANIÈRE SE COMMET LE PÉCHÉ.
9e Raisonnement.
« Demandons comment l'homme se rend coupable du péché: est-ce par une nécessité de sa nature ou par son libre arbitre? Si c'est par une nécessité de sa nature, il ne saurait y avoir de faute; si c'est par son libre arbitre, que l'on nous dise de qui l'homme a reçu son libre arbitre. C'est de Dieu assurément. Or, ce que Dieu nous a donné est bon, personne n'en doute..Comment donc concilier cette bonté du libre arbitre avec ce besoin qu'il éprouve de nous porter plutôt au mal qu'au bien? En effet, il n'est pas douteux qu'il nous incline plutôt au mal qu'au bien, si par lui l'homme peut être avec le péché et ne peut être sans le péché ». Je réponds que c'est sous l'impulsion de son libre arbitre que l'homme s'est rendu coupable de péché; or, de ce péché, il est résulté comme châtiment une sorte de maladie qui a substitué à la liberté une espèce de nécessité morale. De là ce cri lancé par la foi vers le ciel : « Délivrez-moi des nécessités qui m'accablent1 ». Sous le coup de ces nécessités, ou bien nous ne pouvons pas comprendre ce que nous voudrions, ou bien ce que nous avons compris, nous voulons, mais nous ne pouvons pas l'accomplir. La véritable liberté est celle qui est promise par le Libérateur à ceux qui croient en lui : « Si », dit Jésus-Christ, « le Fils de l'homme vous a délivrés, vous serez véritablement libres2 ». Parce que la volonté s'est laissé vaincre par le vice dans lequel elle est tombée, la nature a manqué de liberté. De là cette autre parole de l'Ecriture : « L'homme devient l'esclave de celui par lequel il s'est a laissé vaincre3 ».
De même, donc, que le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades4; de même le Libérateur est nécessaire, non pas à ceux qui sont libres, mais à ceux qui sont esclaves, et c'est à lui seul que peut s'adresser cette félicitation de la liberté : « Vous avez sauvé mon âme des nécessités qui l'opprimaient5 », La santé, telle est la véritable liberté qui n'aurait pas péri si la volonté fût demeurée bonne. Mais parce que la volonté a péché, la dure nécessité d'avoir le péché fut la punition du pécheur, jusqu'à la complète guérison de la faiblesse, et l'obtention de cette entière liberté qui, à la volonté constante et nécessaire de vivre heureusement, joint toujours l'heureuse et volontaire nécessité de bien vivre et de ne jamais pécher.
10e Raisonnement.
« Ainsi donc, non-seulement Dieu a fait l'homme bon, mais il lui a aussi commandé de faire le bien. N'est-ce pas une impiété de soutenir que l'homme est mauvais, quand il a été créé bon et obligé, par un précepte formel, de faire le bien, tandis que, d'un autre côté, on affirme qu'il ne peut être bon, lui qui a été créé bon avec d'obligation de faire le bien6. » Je réponds : Si l'homme a été créé bon, ce n'est point par lui-même, mais par Dieu ; et s'il redevient bonde cette bonté qui le délivre du mal à raison de sa volonté, de sa foi et de sa prière, ce renouvellement n'est pas non plus son œuvre, mais l'oeuvre de Dieu. Ainsi, touché de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour, en attendant qu'au dernier jour l'homme extérieur ressuscite, non point pour le châtiment, mais pour la vie éternelle.
