IV.
Maintenant, abordant un principe d'une plus haute conséquence et qui intéresse tes destinées, nous affirmons que tu subsistes après ta séparation d'avec le corps, et que tu attends le jour du jugement, destinée, d'après tes mérites, à un supplice ou à un rafraîchissement, l'un et l'autre |122 sans fin. Pour éprouver l'un ou l'autre, il faut que tu reprennes la substance primitive, les éléments du même homme et sa mémoire, parce que tu ne peux sentir ni bien ni mal loin de cette chair douée de sensations, et que le jugement demeure incomplet, sans la représentation de celui qui a mérité l'application du jugement. Cette croyance chrétienne, plus honorable que celle de Pythagore, puisqu'elle ne te transforme point en bête; plus large que celle de Platon, puisqu'elle te restitue la dot du corps; plus consolante que celle d'Epicure, puisqu'elle te protège contre la destruction, est accusée néanmoins, rien qu'à cause de son nom, de frivolité, de folie, et, comme on dit, de présomption. Mais pourquoi en rougirions-nous, si notre présomption, c'est la tienne?
D'abord, quand tu parles de quelque mort, tu le plains, non d'avoir été arraché aux douceurs de la vie, mais d'être déjà en possession du jugement et de la punition. Il est bien vrai que d'autres fois tu proclames la félicité de la tombe. Tu avoues et que la vie est un fardeau et que la mort est un bienfait. Mais à quel moment trouves-tu les morts si heureux? Au moment où célébrant plutôt tes propres funérailles, tu accompagnes le défunt au-delà de la porte et jusqu'au bûcher, pour te gorger de viandes; ou bien quand tu reviens du bûcher, chargée de libations. Toutefois j'en appelle à ta pensée à jeun. Abandonnée à tes inspirations, et loin des morts, tu plains leur malheur. Mais à table, en face de ses défunts qui s'asseyent, pour ainsi dire, au même banquet que toi, tu ne saurais leur reprocher leur sort: il faut bien que tu flattes ceux qui t'engraissent. Il ne sent rien, dis-tu? Pourquoi donc l'appelles-tu malheureux? Pourquoi donc maudis-tu la mémoire de ce mort, avec l'intention de l'insulter comme s'il était sensible? Pourquoi souhaites-tu que la terre lui soit pesante? Pourquoi appelles-tu les tortures sur sa cendre dans les enfers? D'un autre côté, s'agit-il d'un bienfaiteur auquel tu dois de la reconnaissance? Tu |123 souhaites à ses os et à ses cendres le rafraîchissement, et tu désires qu'il repose en paix dans les enfers. Si, après la mort, il n'y a plus pour toi ni sensibilité, ni mouvement, en un mot, si tu n'es rien toi-même, aussitôt que tu as abandonné le corps, pourquoi te mettre en contradiction avec tes propres actes, comme si tu pouvais quelque chose au-delà du tombeau? Que dis-je? Pourquoi trembles-tu de tous tes membres à l'approche de la mort, si tu n'as rien à redouter après elle, puisqu'elle ne peut amener aucune redoutable expérience?
Tu peux me répondre, je le sais, que tu crains la mort, non pour les menaces qu'elle apporte, mais à cause des biens dont elle te dépouille. Cependant les douleurs de la vie l'emportant de beaucoup sur ses plaisirs, la crainte de la mort disparaît devant un gain meilleur. On ne doit point craindre la perte des biens qui est compensée par un autre bien, je veux dire par la cessation de toutes les misères. Pourquoi craindre un événement qui nous affranchit de toute crainte? Si tu crains de sortir de la vie parce que tu l'as trouvée bonne, au moins tu ne dois pas redouter la mort, puisque tu ne la crois pas mauvaise. Tu la crains néanmoins: donc tu sais bien qu'elle est un mal. D'où le saurais-tu? où aurais-tu appris à la redouter, si tu ne savais qu'il existe après la mort quelque chose qui en fait un mal et t'en inspire l'effroi?
Ne parlons plus de ces pressentiments et de ces terreurs naturelles. Que personne ne craigne une catastrophe inévitable! J'arrive maintenant à une autre considération, à celle d'une espérance plus heureuse après la mort. Presque tous les hommes ont le désir inné de se survivre dans la mémoire de leurs semblables. Il serait trop long de citer ici les Curtius, les Régulus, et les héros de la Grèce, qui ont acheté les louanges de la postérité en bravant la mort pour recueillir une renommée posthume. De nos jours encore, qui ne s'efforce de se survivre à lui-même et d'assurer l'immortalité à son nom, soit par des |124 oeuvres littéraires, soit par la pureté de ses moeurs, soit enfin par la pompe de sa sépulture? D'où vient à l'âme ce laborieux désir d'être quelque chose après la mort Pourquoi tant d'efforts dont elle ne recueillera le fruit qu'après le trépas? S'agiterait-elle si péniblement pour l'avenir, si elle n'avait aucun pressentiment de l'avenir?
Mais peut-être la certitude qu'il reste quelque sentiment après la mort est-elle plus puissante chez toi que la résurrection à venir, qui soulève tant d'injures contre nous; non, la résurrection est encore le cri de l'âme. Que l'on te demande des nouvelles d'un homme mort depuis longtemps, comme s'il vivait encore, aussitôt tu réponds: « Il est en voyage, mais il doit revenir. »
