II.
Dieu, qui est notre créateur et notre père, nous a donné le sentiment et la raison, ce qui fait voir clairement que nous sommes son ouvrage, puisqu'il a le sentiment et qu'il est lui-même la raison et l'intelligence souveraine. Il n'a pas donné aux autres animaux le même avantage, mais il a pourtant pourvu à leur sûreté; car il les a couverts de peaux pour les défendre de la rigueur du froid, de l'incommodité des pluies et des autres injures de l'air. Il a donné à chaque espèce les armes qui lui étaient propres : aux unes la force, pour attaquer et pour combattre; aux autres la vitesse, pour fuir et pour éviter les périls; aux autres, l'industrie et l'adresse pour se faire des tanières et pour s'y retrancher. Les unes ont des ailes, à la faveur desquelles elles s'élèvent jusques au haut de l'air; les autres des griffes pour grimper; les autres ont des cornes ou des dents pour se défendre, et aucune ne manque de quelque moyen propre à se conserver. Que s'il y a quelque espèce qui serve d'ordinaire de proie à une plus forte, ou elle se retire en des contrées où elle est comme à couvert de cette violence, ou, si elle ne la peut éviter, elle est si féconde de son naturel qu'elle suffit et pour assouvir l'avidité des animaux de proie, et pour peupler encore suffisamment la terre de ce qu'elle dérobe à leur cruauté. Comme Dieu a donné à l'homme la lumière de la raison, la vivacité des sens et l'usage de la parole, il ne faut pas s'étonner qu'il l'ait privé des avantages qu'il a accordés aux animaux, parce que, par le moyen de la raison, il lui est aisé de réparer cette perte. Il l'a laissé nu et sans armes, parce qu'il lui a donné un esprit capable d'inventer l'art de faire des armes et des vêtements. Il n'est pas aisé de bien exprimer combien ces avantages que les bêtes ont sur l'homme contribuent à leur beauté réciproque. Si l'homme avait eu ou des dents, ou des cornes, ou des griffes, ou des ongles, ou une queue, ou une peau de plusieurs couleurs, comme en ont les bêtes, il aurait été extrêmement laid, au lieu que les bêtes seraient laides si elles étaient dépouillées de toutes ces choses. Si on leur avait ôté ou la peau, qui est comme un vêtement dont la nature les a parées, ou les dents et les ongles, qui sont comme des armes dont elle les a pourvues, il n'y aurait rien de si difforme ni de si faible. Ainsi, soit que l'on considère, ou l'usage qu'ont ces parties, ou l'ornement qu'elles apportent, on avouera qu'on ne pouvait jamais rien désirer qui fût tout ensemble et si utile et si agréable. Quant à l'homme, comme Dieu l'a fait pour être éternel, il lui a donné des armes qui ne paraissent point au dehors, mais qui sont cachées au dedans, et qui dépendent non du corps, mais de l'esprit. Après l'avoir si avantageusement partagé des biens intérieurs, qui sont sans comparaison les plus solides et les plus durables, il aurait été inutile de lui en donner d'extérieurs, qui n'auraient servi qu'à diminuer ou à cacher la beauté naturelle de son corps. C'est pourquoi j'ai accoutumé de trouver étrange la folie des disciples d'Épicure, qui, dans le dessein qu'ils ont de persuader que le monde n'a point été fait ni n'est point gouverné par une sage intelligence, mais qu'il a été formé par la rencontre fortuite de corps solides et indivisibles, ont la témérité de trouver à redire aux ouvrages de la nature et à la structure de l'univers. Je passerai sous silence ce qu'ils reprennent dans la disposition du monde par une extravagance ridicule, et ne m'arrêterai qu'à ce qui a un rapport particulier avec le sujet que j'ai maintenant entre les mains.
