1.
Ce n'est que par vos lettres, mon, cher Cyprien, que j'ai connu que portiez à juste titre le nom de cet homme heureux « qui, selon le prophète-roi, » médite jour et nuit sur la loi du Seigneur,» et que vous étiez du nombre de ceux de qui Dieu disait autrefois à Moïse : « Choisissez des anciens d'Israël que vous saurez être les plus expérimentés et les plus propres à gouverner.» Mais depuis que j'ai eu le bonheur de vous voir et de lier avec vous, au milieu des plus tendres embrassements, une amitié très étroite, vous voulez éprouver si ce qu'on vous a dit de moi est véritable, et vous commencez par me prier de vous expliquer un psaume rempli de difficultés, et qui est le quatre-vingt-neuvième dans les versions tant grecques que latines. Vous ne souhaitez pas que je traite un tel sujet avec cette élégance et cette éloquence affectée qui n'est propre qu'à flatter les oreilles et à faire illusion aux ignorants; mais vous désirez que je me serve d'un style simple et digne de la gravité d'un traité religieux, dont la vérité seule doit faire tout l'ornement, en sorte que mon explication n'ait pas besoin d'un interprète, comme il arrive ordinairement à ceux qui; voulant paraître savants, répandent dans leurs commentaires plus d'obscurité qu'il n'y en a dans les choses mêmes qu'ils expliquent. Quelque difficile donc que sait cette entreprise, je m'en charge volontiers; et, soutenu par le secours de vos saintes prières, je me souviendrai de ce que dit le prophète ; «Le Seigneur remplira de sa parole les hérauts de sa gloire, afin qu'ils l'annoncent avec une grande force. »
Il faut remarquer d'abord que ce psaume a pour titre, et dans le texte hébreu et dans la version des Septante Prière de Moïse1, l'homme de Dieu, qualité convenant parfaitement à ce saint homme qui pouvait dire: « J'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée, » qui nous a appris la création de l'homme et de toutes les choses invisibles, l'histoire de tout ce qui s'est fait dans les siècles passés, et qui enfin nous a donné non-seulement les cinq premiers livres de l'Ecriture sainte, savoir : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome, mais encore onze psaumes, depuis le quatre-vingt-neuvième qui commence par ces paroles: « Seigneur, vous avez été notre refuge ; » jusqu'au quatre-vingt-dix-neuvième qui a pour titre Psaume pour la louange. Il est vrai que le psaume quatre-vingt-dix-huitième, est intitulé dans plusieurs exemplaires Psaume pour David, mais ce litre ne se trouve point dans l'hébreu, et c'est la coutume de l'Ecriture sainte d'attribuer les psaumes qui n'ont point de titre aux auteurs dont le nom est à la tête des psaumes qui précèdent.
Or, il y a quatre psaumes intitulés Prière; savoir: le seizième, qui a pour titre Prière de David, et qui commence par ces mois. « Ecoutez favorablement, Seigneur, la justice de ma cause; » le quatre-vingt-neuvième que j'entreprends d'expliquer ici, et qui commence parce verset: « Seigneur, vous avez été notre refuge; » le quatre-vingt-cinquièrne, qui commence par ces paroles: « Abaissez, Seigneur, votre oreille,» et le cent-unième qui a pour titre Oraison du pauvre lorsqu'il sera dans l'affliction et qu'il répandra sa prière en 1a présence du Seigneur. Ce « pauvre» est David, mais en cela il est la figure de Jésus-Christ qui de riche qu'il était s'est fait « pauvre » pour l'amour de nous, et que pour nous donner des marques de sa pauvreté et de sa douceur, et en même temps pour accomplir la prophétie de Zacharie; a bien voulu monter sur le poulain d'une ânesse.
Moïse, par qui Dieu nous a donné sa loi, et par la bouche duquel il a dit: « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance; » et ensuite : « Dieu créa l'homme, et il le créa à l’image de Dieu, et il les créa mâle et femelle; » Moïse, dis-je, nous fait dans ce psaume une peinture de l’homme depuis son origine jusqu'à sa mort et à sa résurrection; il nous décrit les circonstances de sa création, la durée de sa vie, ses occupations dans le siècle, l'utilité et les avantages qu'il en tire, la récompense qu'il envisage dans son travail, la fin qu'il se propose dans toutes ses actions; mais comme ce saint législateur était « homme» lui-même, il nous donne sous son nom et en sa personne une idée de tous les «hommes» en général. Quelques écrivains prétendent que ce psaume ou cette prière de Moïse regarde les enfants d'Israël, et que ce grand homme nous représente ici les murmures et les révoltes de ce peuple contre Dieu, sa chute dans le désert, les péchés qui l'ont rendu indigne d'entrer dans la terre de promesse, laquelle n'a été donnée qu'à ses descendants, et comment il attend encore tous les jours les miséricordes du Seigneur, dont il ne peut voir l'accomplissement et ressentir les effets qu'à l’avènement du Sauveur.
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Le texte hébreu porte : oratio Moisi viri Dei, et la version des Septante : Oratio Moisi hominis Dei. Saint Jérôme met ici de la différence entre vir et homo, qui tous deux signifient la même chose en français, c'est-à-dire : homme, mais nous n'avons en notre langue aucun terme qui puisse rendre cette différence. ↩
