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« L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé. » Avant de parler de cette vision du prophète Isaïe, il est à propos de dire quel était Ozias, combien il a régné d'années, et quels étaient les rois qui de son temps régnaient sur les autres nations. Nous lisons dans les livres des Rois et des Paralipomènes que ce prince était juste, qu'il fit ce qui était droit aux yeux du Seigneur, qu'il répara le temple et bâtit un aqueduc, qu'il offrit des vases sacrés pour le service du temple, qu'il mérita par là d'être victorieux de ses ennemis, et qu'enfin il y eut de son temps plusieurs prophètes dans son royaume, marque très sensible de sa grande piété envers Dieu. Il fut toujours agréable au Seigneur et n'entra jamais dans le temple qu'avec un profond respect, tant que vécut le prêtre Zacharie, surnommé l'intelligent; mais après la mort de ce pontife, ce prince, voulant offrir lui-même des sacrifices, usurpa le sacerdoce par une entreprise plus téméraire que religieuse. Les prêtres et les lévites s'y opposèrent en lui disant qu'il était roi et non pas prêtre; mais n'ayant pas daigné les écouter, Dieu, selon ce que dit le prophète : « Seigneur, couvrez leur visage de confusion, » frappa ce prince téméraire d'une lèpre dont son front fut tout couvert; le front, que le grand-prêtre avait toujours couvert d'une lame d'or; le front, sur lequel Dieu commande, dans le prophète Ezéchiel, de graver la lettre Thau; le front, dont le prophète a dit : « La lumière de votre visage est gravée sur nous, Seigneur; »le front, enfin, par où David frappa d'un coup de pierre et tua l'insolent philistin. ce fut, dis-je, par cet endroit que Dieu frappa le roi Ozias. Ce prince régna cinquante-deux ans, dans le même temps que régnaient Amulius en Italie, et Agamestor, onzième de nom, à Athènes. Après sa mort le prophète Isaie eut la vision que j'entreprends d'expliquer ici, c'est-à-dire la même année que Romulus, fondateur de l'empire romain, vint an monde, comme on peut le voir dans les chroniques que j'ai traduites de grec en latin.
« L'année » donc « de la mort du roi Ozias, » dit le prophète, «je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé. » Expliquons le sens spirituel qui est renfermé dans l'histoire dont nous venons de parler. Isaie ne peut avoir de vision prophétique pendant la vie d'un roi que Dieu avait frappé de lèpre, et qui tâchait de détruire le sacerdoce. Tant qu'un prince de ce caractère est assis sur le trôné de Juda, ce prophète ne lève point les yeux au ciel; les choses divines lui sont cachées; le Dieu des armées ne lui apparaît point; il n'entend point prononcer le nom du saint, nom ineffable, et qui, répété par trois fois, renferme le plus grand de nos mystères; mais après la mort de ce prince, le prophète contemple à découvert ce qui est marqué dans la suite de cette prophétie.
Nous lisons quelque chose de semblable dans l'Exode. Du vivant de Pharaon, le peuple d'Israêl, occupé à des ouvrages de paille, de briques et de terre, et succombant sous le poids des travaux dont il était accablé, n'implore point le secours du Seigneur; aucun d'eux ne cherche le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; mais après la mort de ce tyran les enfants d'Israël, dit l’Ecriture, crièrent vers le ciel, et leurs cris s'élevèrent jusqu'à Dieu. Cependant, à prendre les choses à la lettre et dans le sens historique, c'était sous l'injuste domination de ce prince cruel que les Israélites devaient pousser leurs soupirs vers le ciel; à sa mort les gémissements n'étaient plus de saison, et devaient faire place à la joie. Nous lisons encore que, lorsqu'Ezéchiel prophétisait, Phaltias, fils de Bananias, mourut ; et dès que ce prince méchant eut rendu l'esprit, « Je tombai,. » dit le prophète, « le visage contre terre, et je criai à haute voix en disant: « Hélas! hélas! Seigneur mon Dieu! vous achevez donc de perdre ce qui reste d'Israël! » Si vous faites réflexion qu'Ozias, Pharaon, Phaltias et autres semblables tyrans sont l'image des ennemis de notre salut, vous verrez que, tant que nous vivons sous leur domination, nous ne pouvons ni voir les choses du ciel, ni soupirer après notre liberté, ni vivres dans la pratique de la pénitence. « Que le péché, dit l'Apôtre, ne règne pas dans votre corps mortel. Sous le règne et l'empire du péché, nous travaillons à bâtir des villes pour les Egyptiens, nous sommes couverts d'ordures et de poussière, nous prenons pour le froment la paille, et nous laissons la solidité de la pierre pour nous occuper à des ouvrages de fange et de boue. »
