CHAPITRE II. Merveilleuse pénitence que sainte Fabiola fit de cette faute.
Mais pourquoi m'arrêter à des choses passées et abolies il y a si longtemps, en cherchant à excuser une faute dont elle a témoigné tant de regret? Et qui pourrait croire qu'étant rentrée en elle-même après la mort de son second mari, en ce temps où les veuves qui n'ont pas le soin qu'elles devraient avoir de leur conduite ont coutume, après avoir secoué le joug de la servitude, de vivre avec plus de liberté, d'aller aux bains, de se promener dans les places publiques et de paraître comme des courtisanes, elle ait voulu pour confesser publiquement sa faute se couvrir d'un sac, et à la vue de toute la ville de Rome, avant le jour de Pâques, se mettre au rang des pénitents devant la basilique de Latran? qu'elle ait voulu, ayant les cheveux épars, le visage plombé et les mains sales, baisser humblement sa tête couverte de poudre et de cendre sous la discipline de l'Eglise, le pape, les prêtres et tout le peuple fondant en larmes avec elle?
Quel péché ne serait point remis par une telle douleur, et quelle tache ne serait point effacée par tant de pleurs? Saint Pierre par une triple confession obtint le pardon d'avoir renoncé trois fois son maître ; les prières de Moïse firent remettre à Aaron le sacrilège qu'il avait commis en souffrant qu'on fit le veau d'or ; Dieu, ensuite d'un jeûne de sept jours, oublia le double crime où David, qui était si juste et l'un des plus doux hommes du monde, était tombé en joignant l'homicide à l'adultère, car il le vit couché par terre, couvert de cendre, oubliant sa dignité royale, fuyant la lumière pour demeurer dans les ténèbres, et tournant seulement les yeux vers celui qu'il avait offensé, et lui disant d'une voix lamentable, et tout trempé de ses larmes : « C'est contre vous seul que j'ai péché, c'est en votre présence que j'ai commis tous ces crimes; mais, mon Dieu, redonnez-moi la joie d'être dans les voies de salut et fortifiez-moi par votre esprit souverain. » Il est arrivé que ce saint roi, qui nous apprend par ses vertus comment lorsque nous sommes debout nous devons nous empêcher de tomber, nous a montré par sa pénitence de quelle sorte quand nous sommes tombés nous devons nous relever. Vit-on jamais un roi plus impie qu'Achab, dont l'Ecriture dit : « Il n'y en a point eu d'égal en méchanceté à Achab, qui semble s'être rendu esclave du péché pour le commettre en la présence du Seigneur avec des excès incroyables? » ce prince ayant répandu le sang de Nabot, et le prophète lui faisant connaître quelle était la colère de Dieu contre lui par ces paroles qu'il lui porta de sa part: « Tu as tué cet homme, et outre cela tu possèdes encore son bien, mais je te châtierai comme tu le mérites, je détruirai ta postérité, etc., » il déchira ses vêtements, se couvrit d'un cilice, se revêtit d'un sac, il jeûna et marcha la tête baissée contre terre. Alors Dieu dit à Elie: « Ne vois-tu pas qu'Achah s'est humilié en ma présence? et parce qu'il est entré dans cette humiliation par le respect qu'il me doit, je suspendrai durant sa vie les effets de ma colère. »
O heureuse pénitence, qui fait que Dieu regarde le pécheur d'un oeil favorable, et qui en confessant ses fautes oblige ce souverain juge , à révoquer l'arrêt qu'il avait prononcé en sa fureur! Nous voyons dans les Paralipomènes que la même chose arriva au roi Manassès,dans le prophète Jonas au roi de Ninive, et dans l'Evangile au publicain ; dont le premier se rendit digne non-seulement de pardon, mais aussi de sauver son royaume , le second arrêta la colère de Dieu prête à lui tomber sur la tête, et le troisième, en meurtrissant de coups son estomac et n'osant lever les yeux vers le ciel, s'en retourna beaucoup plus justifié par l'humble confession de ses péchés que le pharisien par la vaine ostentation de ses vertus.
Mais ce n'est pas ici le lieu de louer la pénitence et de dire, comme si j'écrivais contre Montan ou contre Novat, que « c'est une hostie qui apaise Dieu; que nul sacrifice ne lui est plus agréable qu'un esprit touché du regret de ses offenses; qu'il aime mieux la pénitence du pécheur que non pas sa mort ; lève-toi, lève-toi, Jérusalem, » et plusieurs autres paroles semblables qu'il nous fait entendre par la bouche de ses prophètes ; je dirai seulement, pour l'utilité de ceux qui liront ceci et à cause qu'il convient particulièrement à mon discours, que Fabiola n'eut point de honte de se confesser pécheresse en la présence de Dieu sur la terre, et qu'il ne la rendra point confuse dans le ciel en la présence de tous les hommes et de tous les anges. Elle découvrit sa blessure à tout le monde, et Rome ne put voir sans répandre des larmes les marques de sa douleur imprimées sur son corps si pâle et si exténué de jeûnes. Elle parut avec des habits déchirés, la tête nue et la bouche fermée. Elle n'entra point dans l'église du Seigneur, mais demeura hors du camp, séparée des autres comme Marie, sueur de Moïse, en attendant que le prêtre qui l'avait mise dehors la fit revenir. Elle descendit du trône de ses délices; elle tourna la meule pour moudre le blé, selon le langage figuré de l'Ecriture; elle passa courageusement et les pieds nus le torrent de larmes; elle s'assit sur les charbons de feu dont le prophète parle, et ils lui servirent à constituer son péché. Elle se meurtrissait le visage à cause qu'il avait plu à son second mari; elle haïssait ses diamants et ses perles; elle ne pouvait voir ce beau linge dont elle avait été si curieuse ; elle avait du dégoût. pour toutes sortes d'ornements. Elle n'était pas moins affligée que si elle eût commis un adultère ; et elle se servait de plusieurs remèdes pour guérir une seule plaie.
