5.
Mais je reviens à ce que je disais d'abord. Nous devons choisir ce qui est utile , et non prendre tout sans distinction. Parmi les aliments, nous avons soin de rejeter ceux qui sont nuisibles et nous ne ferions aucun choix des sciences qui nourrissent notre anse ! nous serions comme un torrent gui entraîne dans sa course tout ce qu'il rencontre ! Un pilote n'abandonne pas son vaisseau au caprice des vents, il le conduit au port selon les principes de son art. Des artisans en fer oit en bois vont à leurs fins par des règles certaines; et nous serions inférieurs à de simples ouvriers pour l'intelligence de nos plus grands intérêts !
Dans les ouvrages des mains on aurait un but pour se diriger dans le travail ; et on ne s'en proposerait aucun pour la vie humaine , pour un objet que doit avoir en vue, dans tous ses discours et dans toutes ses actions, quiconque ne veut pas absolument ressembler aux brutes ! Si nous n'agissons pour une fin, notre esprit , comme un vaisseau sans gouvernail et sans lest, flottera à l'aventure. Dans les combats de la lutte et de la musique, on se livre à des exercices préparatoires, pour obtenir la couronne promise. Celui qui s'est exercé à lutter ne se présentera point pour jouer de la flûte ou toucher de la lyre. Le fameux Polydamas, avant de paraître aux jeux olympiques, arrêtait des chars dans leur course, et par-là augmentait ses forces. Milon1, se tenant sur un bouclier frotté d'huile, ne pouvait être arraché de sa place ; et quelque effort qu'on employât, il restait inébranlable comme une colonne fixée avec du plomb. En un mot, les exercices de ces hommes étaient des préparations pour le combat. Si , négligeant les exercices de la lutte, ils se fussent occupés des talents de Marsyas ou d'Olympe2, loin d'acquérir de la gloire et des couronnes , ne se seraient-ils pas rendus ridicules ? Timothée non plus n'a pas abandonné la musique pour ivre dans les palestres3; il n'aurait pas alors effacé tous les musiciens de son siècle. Il était, dit-on, si habile dans son art, duit son gré il excitait l'indignation par des tons graves et austères , et que bientôt il l'apaisait par des sons plus doux. On dit que chantant devant Alexandre selon le mode phrygien, il l'anima jusqu'à lui faire prendre les armes au milieu du repas ; et qu'ensuite, adoucissant peu à peu son ton, il le ramena à des sentiments de bienveillance pour les convives : tant il est vrai que l'exercice est nécessaire pour parvenir à la perfection dans la musique et dans la lutte.
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C'est le fameux Milon de Crotone. Pausanias rapporte le même fait de ce robuste athlète. Polydamas , dont il est parlé un peu auparavant , n'était guère moins connu. ↩
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Marsyas et Olympe, tous deux joueurs de flûte célèbres. Olympe était de Mysie. La table dit de Marsyas que c'était un satyre ; qu'il osa délier Apollon, et qu'il fut puni de son audace. ↩
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Palestres , lieux ou salles où s'exerçaient les athlètes. ↩
