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Ainsi donc, ne nous attachons point à des recherches, car le titre de fidèles nous engage à croire à la parole, sans doute ni hésitation. Si c'était une parole humaine, nous devrions la soumettre à l'épreuve; mais, si elle est divine, nous devons la vénérer et la croire; si nous ne croyons pas à cette parole, c'est que nous ne croyons pas même qu'elle est de Dieu ; car comment connaître que c'est Dieu qui parle, et lui demander compte de sa parole ? La première preuve que nous connaissons Dieu, c'est de croire à sa parole sans preuves ni démonstrations. Les gentils eux-mêmes le savent, car ils croient en leurs dieux, bien que leurs oracles soient sans preuves, et par cela seul qu'ils viennent des dieux. Les gentils donc le savent, vous le voyez. Et que dis-je, la parole d'un dieu? Ils croient à celle d'un enchanteur et d'un mage, je veux dire de Pythagore : « Le maître l'a dit ». Et dans la partie supérieure des temples, le dieu du silence était peint, tenant un doigt sur sa bouche, et serrant ses lèvres pour enseigner le silence à tous ceux qui passaient. Faut-il croire que leurs doctrines étaient vénérables, et que les nôtres au contraire sont dignes de risée ? C'est plutôt avec raison que celles des gentils sont un objet d'examen, car elles consistent en raisonnements contradictoires, en controverses, en conclusions, et les nôtres en sont affranchies. Celles-là sont l'oeuvre de la sagesse humaine, celles-ci sont l'enseignement de la grâce de l'Esprit-Saint; celles-là sont les dogmes de la folie et de la déraison, celles-ci de la véritable sagesse. Là il n'y a point de disciple et de maître, mais tous cherchent ensemble, qu'ils soient maîtres ou disciples. Car être disciple, ce n'est pas chercher; c'est être guidé par la confiance et non par le doute; c'est croire et non raisonner. C'est la foi qui fait la gloire des anciens; c'est le manque de foi qui a tout corrompu. Et que parlé-je des choses célestes? Si nous examinons de près celles de la terre, vous trouverez qu'elles ne sont point étrangères à toute foi; ni les contrats, ni les arts, ni rien de semblable ne peut s'en passer. Et, s'il en faut pour des objets trompeurs, combien plus pour des objets célestes !
Attachons-nous donc à la foi, possédons-la; c'est ainsi que nous écarterons de notre âme toute funeste doctrine, telle que celles de (277) l'émanation et du destin. Si vous croyez à la résurrection et au jugement , vous saurez écarter de votre âme toutes ces doctrines. Croyez que Dieu est juste, et vous ne croirez pas à une émanation inique; croyez à la Providence divine, et vous ne croirez pas à une émanation à laquelle tout est soumis; croyez aux châtiments divins et au royaume de Dieu, et vous ne croirez pas à une émanation qui nous enlève notre libre arbitre , pour nous soumettre à une nécessité impérieuse. Ne semez point, ne plantez point, ne combattez pas, ne faites rien en un mot ; avec ou sans votre volonté, tout se produira par l'émanation. Que restera-t-il à la prière? et pourquoi voudriez-vous être chrétien, si l'émanation est vraie? Car vous ne pourrez plus être accusé d'aucun péché. D'où viennent les sciences ? De l'émanation? — Oui, nous répond-on; mais le destin exige que tel homme devienne savant à grand'peine. — Eh ! montrez-m'en un seul qui le devienne sans peine. C'est donc le travail et non l'émanation qui fait les savants.
Pourquoi, me dira-t-on, tel misérable coquin est-il riche, pour avoir reçu de son père un héritage, tandis que tel homme se donne mille peines et reste pauvre? — Car tel est l'objet constant de leurs disputes ; ils ne soulèvent que des questions de richesse et de pauvreté, non de vice et de vertu. Mais plutôt à ce sujet, montrez-moi un homme qui soit devenu méchant, quelque effort qu'il ait fait pour être vertueux, ou vertueux sans nul effort. Si le destin a tant de puissance, qu'il la montre dans les objets les plus grands, la vertu et le vice, et non dans la richesse et la pauvreté. — Pourquoi, dira-t-on encore, celui-ci vit-il dans les maladies et celui-là dans la santé? Pourquoi celui-ci dans l'estime et celui-là dans l'opprobre; pourquoi celui-ci réussit-il à son gré dans toutes ses affaires, et celui-là trouve-t-il mille et mille entraves ? — Ecartez la doctrine de l'émanation et vous le comprendrez; croyez à la Providence divine, et vous le verrez clairement. — Je ne le puis, répond mon adversaire, car cette confusion ne me permet point de soupçonner qu'une providence divine soit l'auteur de tout cela. Comment croire qu'un Dieu bon par excellence donne les richesses à l'impudique, au scélérat, à l'homme cupide, et ne les donne pas à l'homme de bien ! Quel moyen de le croire? Car il faut bien s'en rapporter à ce qui existe. — Soit. Eh bien ! tout cela provient-il d'une émanation juste ou injuste? — Injuste, me direz-vous. — Et qui en est l'auteur? Est-ce Dieu? — Non, me dira-t-on ; elle n'a point d'auteur. — Et comment cette émanation, qui n'est pas émanée, peut-elle opérer tout cela ? Il y a contradiction.
Ainsi Dieu n'y, est pour rien. Examinons pourtant qui a fait le ciel. — L'émanation , me dira-t-on. —Et la terre? Et la mer? Et les saisons? Et puis elle a disposé la nature inanimée dans un ordre parfait, dans une harmonie parfaite, et nous, pour qui tout cela existe, elle nous aurait destinés au désordre? Comme celui qui, par ses soins prévoyants, disposerait à merveille une maison, mais ne ferait rien pour ceux qui doivent l'habiter. Qui veille à la succession des phénomènes ? Qui a donné à la nature ses lois si régulières ? Qui a réglé le cours du jour et de la nuit? Tout cela est au-dessus de l'émanation. — Non, me dira mon adversaire; tout cela s'est fait par hasard. — Et comment un ordre pareil serait-il l'effet du hasard? — Mais on insiste : D'où vient -que la santé, la richesse, la renommée sont le fruit, tantôt de la cupidité, tantôt d'un héritage, tantôt de la violence? Et pourquoi Dieu l'a-t-il permis? — Parce que ce n'est point ici que chacun est rémunéré suivant -ses mérites; ce sera dans le temps à venir montrez-moi qu'alors il en sera comme en ce monde. — Donnez-moi d'abord, me dira-t-on, les biens d'ici-bas; je ne cherche pas ceux de l'autre monde. — C'est pour ce motif que ceux-là ne vous sont pas donnés. Car si, lorsque vous êtes privé des plaisirs, vous les aimez au point de les préférer aux biens célestes, que serait-ce, si vous jouissiez d'un plaisir sans mélange? Dieu vous montre ainsi que ces avantages ne sont pas réels, mais indifférents; s'ils ne l'étaient pas, il ne les eût point donnés aux méchants. Dites-moi, n'est-il pas indifférent que l'on soit noir ou blond, grand ou petit? Eh bien ! il en est de même de la richesse. Dites-moi, chacun n'est-il pas équitablement pourvu des biens nécessaires , savoir l'aptitude à la vertu et la répartition des dons spirituels ? Si vous connaissiez les bienfaits de Dieu, jamais, étant équitablement pourvu de ces biens, vous ne seriez indigné de manquer des biens terrestres; vous n'auriez pas cette avidité, si vous connaissiez les biens auxquels vous êtes admis.
Un serviteur nourri, vêtu, logé par son maître comme ses compagnons, ne se croit pas plus riche qu'eux parce qu'il a des cheveux plus abondants ou des ongles plus longs; de même c'est un bien vain orgueil que celui des biens terrestres. Dieu les éloigne de nous pour apaiser cette folie, pour diriger vers le ciel le désir qui se portait vers eux. Mais nous, même alors, nous ne devenons pas sages. De même que si un enfant possède un jouet et le préfère aux objets importants, son père le lui enlève pour l'amener, même malgré lui, à une occupation sérieuse; de même Dieu en agit envers nous pour nous diriger vers le ciel. — Et pourquoi donc, dira-t-on, permet-il que les méchants possèdent les richesses ? — Parce qu'il en fait peu de cas. Et pourquoi le permet-il aux justes? Il se borne à ne pas l'empêcher. — Nous avons parlé ici d'une façon élémentaire, comme à des hommes qui ignoreraient les Ecritures ; mais, si vous vouliez croire et vous attacher aux paroles divines, nous n'aurions pas besoin de tant de discours, vous sauriez tout ce que vous avez besoin de savoir. Et pour vous apprendre que la richesse n'est rien, que la santé n'est rien, que la gloire n'est rien, je vous montrerai beaucoup d'hommes qui ont pu s'enrichir et ne l'ont pas fait, qui ont pu avoir une santé florissante et ont macéré leur corps, qui ont pu être honorés et ont tout fait pour être méprisés. Cependant nul homme étant bon ne s'efforce de devenir mauvais. Ayons donc l'ambition des biens véritables et nous obtiendrons même les autres en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit , gloire , puissance , honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.
