4.
Lorsque, revêtu des insignes de ses fonctions, il était assis sur son tribunal, sa nature vicieuse se manifestait sous divers aspects; car le vice est en désaccord, non seulement avec la vertu, mais avec, lui-même, et réunit tous les contrastes. Ivre d’orgueil et de colère, plus furieux qu’un chien de l’Épire, il s’acharnait sur un particulier, sur une famille, sur une cité tout entière, se réjouissait davantage à mesure qu’il faisait plus de mal, comme si les pleurs qu’il faisait couler lavaient les souillures de sa vie domestique. L’unique chance qu’on eût de lui échapper, c’est que souvent, lorsque sa méchanceté allait s’exercer, il oubliait sa première idée; de bizarres imaginations lui venaient à l’esprit: semblable à un fou, il discutait, à perte de vue, sur des niaiseries; pendant ce temps l’accusé se sauvait, et il n’était plus question de lui. D’autres fois, la tête appesantie, il s’endormait, incapable alors de songer à rien; puis, quand il s’éveillait, il ne gardait plus aucun souvenir de ce qui venait de se passer. Il débattait avec les intendants des finances des questions comme celles-ci: Dans un médimne combien y a-t-il de grains de blé? dans un conge combien de verres? C’est sur ces futiles et ridicules sujets qu’il étalait son savoir. Des malheureux durent leur salut à l’assoupissement qui venait à propos saisir Typhon. Souvent il serait tombé la tête la première, du haut de son tribunal, si l’un des gardes, jetant son flambeau, ne l’avait soutenu. Ainsi plus d’une fois on vit finir comiquement ces nuits tragiques; car Typhon ne voulait pas siéger pendant le jour : cette nature, ennemie du soleil et de la lumière, s’accommodait mieux des ténèbres. Comme il sentait qu’il n’y avait personne avec un peu de bon sens qui ne vît très bien sa grossière ignorance, au lieu de se reprocher son ineptie, il en voulait à tous les gens sages, comme s’ils étaient coupables d’avoir du jugement. Avec un esprit obtus, il était plein de ruse quand il s’agissait de tendre quelque piège. En lui se confondaient la sottise et la fureur, deux fléaux qui ne font que se fortifier mutuellement: il n’en est pas de pires dans la nature, ni qui puissent faire plus de mal à la race humaine.
