II.
Voici par quels arguments ce détestable peintre a coloré cette première ombre, assurément dépourvue de lumière. Il établit, comme préliminaire, que le Seigneur a produit l'universalité des êtres ou de lui-même, ou de rien, ou de quelque chose, afin qu'après avoir montré qu'il n'a pu les produire ni de lui-même, ni de rien, il démontre ensuite ce qui reste, c'est-à-dire qu'il les a produits de quelque chose, et que ce quelque chose, c'était la Matière. Il n'a pu les tirer de lui-même, dit-il, parce que tous les êtres, tirés de la substance du Seigneur, auraient été autant de parcelles de lui-même. Or, Dieu n'admet aucun partage, puisqu'il est indivisible, immuable et toujours identique en sa qualité de Seigneur. D'ailleurs, s'il eût créé quelque chose de lui-même, il n'aurait été qu'une portion de lui-même. Il faudrait alors regarder comme imparfait tout ce qui se ferait et tout ce qu'il ferait, par la raison que cette chose se ferait d'un côté, tandis qu'il la ferait de l'autre. Ou bien, si c'est Dieu tout entier qui a fait la chose tout entière, le voilà dès-lors tout à la fois complet et incomplet, parce qu'il faudra qu'il soit complet pour se produire lui-même, et incomplet pour se produire de lui-même. Or, là est la difficulté; car s'il existait, il ne deviendrait point, il serait. D'autre part, s'il n'existait pas, il ne produirait pas, puisqu'il n'aurait pas l'être. Celui qui existe toujours, ne se fait pas: il subsiste dans le siècle des siècles. Par conséquent, Dieu n'a point produit les êtres de lui-même, puisqu'il n'appartenait point à sa nature de pouvoir les produire de lui-même.
Que Dieu n'ait pu les créer de rien, Hermogène essaie de le prouver ainsi. Dieu est bon et très-bon. Il veut faire des choses bonnes et très-bonnes comme lui-même; ou plutôt, Dieu ne veut et ne fait que des choses bonnes et très-bonnes. Il faudrait donc que, conformément à sa nature, tous les êtres qu'il aurait produits fussent bons et très-bons. Or, l'expérience atteste qu'il en a créé de mauvais, ce qui n'a pu provenir de son choix et de sa volonté, parce que, s'il ne consultait que son choix et sa volonté, il ne ferait rien que de convenable et de digne de lui. Il faut en conclure que ce qu'il n'a pu faire par un acte de sa volonté, a été engendré par quelque substance mauvaise, la Matière sans doute.
